Mais aujourd'hui, le fondateur de la chaîne Pax TV craint avant tout que l'espace de liberté d'expression créé par YouTube dans ce pays autoritaire ne cède du terrain face à l'offensive du gouvernement.
"Ça se resserre", lâche devant un café brûlant John Williams Ntwali, lors d'un entretien avec l'AFP.
"On tend vers la fermeture des chaînes YouTube, pas en fermant YouTube ou internet mais en emprisonnant ceux qui travaillent sur YouTube", ajoute ce journaliste d'une quarantaine d'années - dont 20 de carrière.
Sur le site de partage de vidéos, ceux qui discutent sports, beauté ou loisirs, ne sont pas inquiétés, raconte-t-il, mais les jeunes gens qui traitent de politique et d'actualité "encourent beaucoup de risques".
Contrairement à beaucoup de youtubeurs sur la planète, "Ntwali", comme beaucoup l'appellent, montre rarement son visage et reste avare de détails sur sa vie privée.
Pax TV, qui compte environ 15.000 abonnés et 1,5 million de vues après un an d'existence, diffuse majoritairement des interviews, en langue kinyarwanda, de voix dissidentes.
Une de ses vidéos les plus populaires tend le micro à Adeline Rwigara, veuve d'un homme d'affaires décédé dans des circonstances controversées, qui dénonce un "harcèlement" de sa famille.
La "voix des sans-voix" a également interviewé l'avocat belge de Paul Rusesabagina, héros du film Hotel Rwanda devenu un féroce critique du régime et récemment condamné à 25 ans de prison.
"Nous voulons parler à tout citoyen.Nous faisons un journalisme d'investigation mais nous le faisons pour faire du plaidoyer en droits humains, justice, politique", affirme Ntwali dans un mélange d'anglais et de français.
"C'est de la passion.C'est du dévouement.On vit en espérant qu'un jour ça puisse s'améliorer."
- "Pris par surprise" -
Depuis la fin du génocide, qui en 1994 a fait au moins 800.000 morts principalement Tutsi, le Rwanda est dirigé d'une main de fer par Paul Kagame.
Loué pour les succès de sa politique de développement, le président est également critiqué par les groupes de défense des droits humains pour sa répression de la liberté d'expression.
Le pays est classé au 156e rang sur 180 pays pour la liberté de la presse par Reporters Sans Frontières (RSF).
Ces dix dernières années, les médias indépendants se sont raréfiés, bloqués par le pouvoir.La popularité de YouTube a grandi, et s'est renforcée lorsque le Covid-19 et les confinements ont enfermé chez eux les habitants de Kigali, formant l'essentiel de l'audience.
Le régime, qui jusqu'ici contrôlait avec fermeté l'espace public, "a été pris par surprise" par cette nouvelle caisse de résonance, affirme un analyste politique rwandais.
Car "vous ne pouvez pas contrôler YouTube", pointe-t-il.
Ces vidéos, "ça reste, ça se partage", ajoute Ntwali, ancien rédacteur en chef du site Ireme News, aujourd'hui fermé, soulignant que les commentaires sont "l'autre section qui fait mal au pouvoir".
Le journaliste ajoute qu'attaquer directement YouTube risquerait de froisser sa maison-mère, Google, qui pourrait en retour bloquer l'accès à ses autres services, comme Gmail ou Maps, très utiles dans un pays qui veut attirer touristes et hommes d'affaires.
Des rumeurs ont récemment fait état de discussions entre la police rwandaise et Google sur la fermeture de certaines chaînes mais ni les autorités, ni le géant de la Silicon Valley n'ont confirmé cette information à l'AFP.
- "Candidat à la prison" -
L'année 2021 a été marquée par plusieurs arrestations de youtubeurs vedettes, qualifiées de "persécutions" par RSF.
Mi-novembre, Dieudonné Niyonsenga, dit Cyuma ("fer" en kinyarwanda), a été condamné à sept ans de prison, notamment pour faux et usurpation d'identité.
En octobre, Yvonne Idamange, 42 ans, a été condamnée à 15 ans de prison pour incitation à la violence en ligne. En juin, l'universitaire et youtubeur Aimable Karasira a été arrêté et inculpé pour négationnisme du génocide, un crime grave au Rwanda.
D'un côté, la police rwandaise (RIB) dénonce des commentateurs qui cherchent à "saper la sécurité nationale" ou à "semer la division parmi les Rwandais".
De l'autre, Human Rights Watch estime que les entraves à la liberté d'expression et sa criminalisation dans la loi rwandaise "offrent de nombreuses possibilités de poursuites abusives" des youtubeurs.
Alors que 2021 s'achève, la bulle de liberté d'expression qui avait émergée sur YouTube s'est largement réduite et Ntwali apparaît comme une des dernières figures encore en activité.
Le journaliste, placé de nombreuses fois derrière les barreaux au cours de sa carrière - parfois pour quelques heures, parfois plusieurs semaines -, assurer s'attacher à ne rien publier qui soit "en contradiction avec la loi".
Mais l'arrestation viendra, prédit-il.
"C'est inévitable (...) quand vous êtes journaliste indépendant, au vrai sens du terme, vous êtes candidat à la prison."
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