Les deux verdicts sont tombés mardi et samedi, à chaque fois au petit matin, à l'issue de procès qui ont duré moins de 24H: 10 ans de prison pour l'universitaire Joël Aïvo, jugé pour "complot contre l'autorité de l'Etat", et 20 ans de prison pour l'ex-garde des Sceaux Reckya Madougou, condamnée pour "terrorisme".
C'est un nouveau coup de massue pour l'opposition déjà à genoux depuis l'arrivée au pouvoir du président Talon en 2016, ces deux personnalités ayant incarné au moment de la présidentielle d'avril 2021 un dernier et très mince espoir d'alternance au Bénin.
Leurs candidatures avaient vite été rejetées par la commission électorale, et Patrice Talon avait été réélu avec 86% des voix.Mais cela n'avait pas empêché leur arrestation, quelques jours avant le scrutin pour Mme Madougou, et, au lendemain des résultats pour M. Aïvo.
Ces condamnations douchent notamment l'espoir d'un éventuel apaisement politique entre le pouvoir et l'opposition, matérialisé en septembre dernier par la rencontre entre M. Talon et son rival, l'ancien chef de l'Etat Thomas Boni Yayi.
- Fuite au Togo -
"Nous avons eu affaire à un procès joué d'avance, nous le voyons comme un signal montrant que nous avons bien fait de ne pas rentrer au pays", estime auprès de l'AFP Bill Souleymane Kingninouho, un responsable du parti fondé par M. Boni Yayi, qui a fui avec des dizaines de militants au Togo voisin juste avant le scrutin, par peur d'être arrêtés.
Après les condamnations, les Etats-Unis ont fait part lundi de leurs "graves inquiétudes quant à l'ingérence politique dans le système judiciaire pénal du Bénin", déplorant un "ciblage systématique des figures de l'opposition".
Les deux condamnés ont quinze jours pour faire appel devant la Cour de Répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), une juridiction spéciale mise en place en 2016 par le pouvoir.
Mais jusqu'ici aucun n'a déposé de recours, "car la particularité de la Criet, c'est que vous faites appel devant la même juridiction, donc sans éléments nouveaux, ils seront à priori à nouveau condamnés", souligne le politologue béninois Mathias Hounkpè.
D'autant que la Criet est perçue comme le bras armé du pouvoir: moins d'une semaine avant l'élection, un de ses juges avait fui le pays et dénoncé des pressions exercées par le pouvoir, notamment dans l'incarcération de Mme Madougou.
Le pouvoir dénie lui toute forme d'ingérence, et affirme que la Criet a été mise en place pour mettre fin à l'impunité au sein de la classe politique, faisant fi des appartenances partisanes.
"Cette lutte contre l'impunité est absolument nécessaire au Bénin mais elle perd en crédibilité lorsqu'on a le sentiment qu'elle sert d'abord à neutraliser ses adversaires politiques plutôt que des proches du président", affirme le politologue béninois Gilles Yabi, fondateur du think-tank Wathi.
- Appels à la clémence -
Depuis les condamnations, les appels à la clémence de Patrice Talon se multiplient au sein de l'opposition et d'une partie de la société, qui plaident pour une grâce présidentielle.
"Les Béninois ne sont pas habitués à des sanctions aussi lourdes et à une forme d'absence totale de compassion", souligne M. Yabi.
"Maintenant que le pouvoir a montré qu'il était le plus fort, ce serait le moment de montrer une forme de générosité, de pardon", poursuit-il.
Les autorités n'ont pour l'instant pas réagi, mais le porte-parole du gouvernement Wilfried Houngbedji, interrogé par la presse après la condamnation de M. Aïvo, a laissé une porte ouverte: "le chef de l'Etat, d'après la constitution, a la possibilité d'accorder la grâce à des prisonniers, quelle que soit la nature de l'infraction", a-t-il déclaré, ajoutant cependant ne pouvoir "se plonger dans la tête" du président.
Toutefois, Patrice Talon tient depuis le début de son mandat un discours très ferme quant à l'application de la loi, et a pratiquement toujours rejeté "la recherche de solutions politiques" dans les crises, selon M. Yabi.
Pourtant, en 2014, M. Talon, alors en exil, accusé d'avoir fomenté un complot pour éliminer le président de l'époque Thomas Boni Yayi, avait lui-même bénéficié d'un pardon présidentiel, qui lui avait alors permis de se présenter deux ans plus tard.
Mais, pour M. Hounkpè, une grâce présidentielle ne ferait "que démontrer un peu plus la vulnérabilité de tous les citoyens vis-à-vis du pouvoir": "On peut vous envoyer en prison si on veut, et vous libérer si on veut, pour éventuellement vous y remettre".
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