Il a immédiatement craint le pire pour les onze églises monolithes millénaires qui font de cette ville de la région de l'Amhara, dans le nord de l'Éthiopie, un lieu saint pour les dizaines de millions de chrétiens orthodoxes du pays et un site touristique majeur.
Les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) étaient précédés d'une réputation terrifiante.Des dirigeants fédéraux et des ONG les ont accusés de meurtres et viols de masse durant leur offensive en Amhara débutée en juillet.
Pourtant, le père Tsige a exhorté ses ouailles à garder leur calme et à ne pas fuir la ville."Je crois en Dieu, j'avais la foi que rien ne se passerait dans ce lieu saint", explique-t-il.
Les quatre mois qui ont suivi n'ont été que privations et violence.
Les rebelles ont pillé des maisons et des établissements de santé.Sans transport, électricité, banques ni communications, les habitants se sont retrouvés coupés du monde.
Cette situation a pris fin la semaine dernière lorsque l'armée a repris Lalibela lors d'une contre-offensive éclair, dernier rebondissement du conflit qui oppose depuis plus d'un an forces pro-gouvernementales et rebelles tigréens.
L'AFP a été le premier média indépendant à pénétrer dans la ville depuis.
- Prières et pillages -
La guerre en Éthiopie n'était pas censée durer aussi longtemps, ni même toucher Lalibela.
Le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019, avait promis une opération militaire rapide et ciblée quand il a envoyé début novembre 2020 l'armée dans la région septentrionale du Tigré pour renverser le TPLF, qu'il accusait d'avoir orchestré des attaques contre des bases de l'armée fédérale.
Mais fin juin 2021, le TPLF a repris l'essentiel du Tigré puis avancé dans les régions voisines de l'Amhara et de l'Afar.
Lalibela est l'une des nombreuses localités amhara où les forces pro-gouvernementales ont préféré fuir plutôt que combattre.
Les autorités locales les ont suivis, laissant le père Tsige et d'autres responsables religieux seuls pour gérer la ville, contrôlée militairement par les rebelles.
Les ecclésiastiques ont d'abord demandé aux combattants de retirer les mortiers et autres armes lourdes installés à proximité des églises.
Les combattants du TPLF, dont beaucoup étaient eux-mêmes chrétiens orthodoxes, ont accepté et promis de respecter le site.Ils ont également pris l'habitude de laisser leurs kalachnikovs à l'extérieur avant d'aller prier dans l'église Saint-Georges, une des églises en forme de croix emblématique de Lalibela.
Les onze édifices, classés au patrimoine mondial de l'Unesco, sont restés intacts.
Dans la ville même, les rebelles se sont montrés moins accommodants, frappant aux portes des maisons à toute heure et réclamant téléphones portables et nourriture, racontent des habitants.
"Vous ne pouviez pas leur demander de vous rendre les choses.Ils avaient des armes, ils ont dit qu'ils nous tueraient", explique Belaynew Mengeshaw, un voyagiste.
Les rebelles ont pillé les bureaux officiels et les banques, et saccagé l'aéroport, désormais jonché d'enchevêtrements de lignes électriques arrachées, de verre brisé et de cartes d'embarquement vierges éparpillées au sol.
- Médicaments à dos d'âne -
L'hôpital de la ville, qui couvre une population d'environ 20.000 habitants, a accueilli toute la misère humanitaire causée par l'offensive rebelle.
Les stocks de nourriture des habitants s'étant épuisés, il a accueilli 290 enfants malnutris, dont 90 cas graves.Six sont morts.
"Nous ne pouvions pas les soigner car les suppléments (alimentaires) avaient été pillés par le TPLF", soupire Temesgen Muche, travailleur social à l'hôpital.
Les médecins ont improvisé pour mener à bien leur mission.
Ils ont fait acheminer en secret, à dos d'âne, des médicaments depuis la ville de Meket, à 40 kilomètres à l'ouest.Ils les administraient ensuite à la faveur de la nuit à des patients atteints de maladies comme le VIH et la tuberculose.
Malgré ces petites victoires, le désespoir a gagné l'hôpital ces dernières semaines.
Les réserves d'oxygène s'épuisaient, laissant juste de quoi mener une intervention de 30 minutes.
Les banques étant hors service, les médecins ne pouvaient toucher leurs salaires, devenant dépendants des distributions de nourriture et d'argent organisées par les chefs orthodoxes.
De retour de leur garde nocturne, certains ont découvert leurs maisons pillées et leurs proches passés à tabac par des rebelles.
- Combattants galvanisés -
L'arrivée de l'armée - et de forces spéciales amhara et d'une milice appelée Fano - a suscité un soulagement.
La ville a une nouvelle fois changé de mains sans véritable combat, bien que des soldats ont décrit de violents affrontements dans les environs.
Le TPLF a démenti toute défaite militaire, affirmant avoir opéré des retraits tactiques.
À l'hôpital, les patients affluent désormais des villes et villages alentours où les rebelles sont accusés d'avoir bombardé et tiré sur des civils durant leur retraite.
Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des violences sexuelles et des meurtres ailleurs en Amhara.
Pour le père Tsige, le plus difficile ces derniers mois a été de vivre privé de certains services de base, comme la banque et les communications.
Cela suscite chez lui un sentiment de sympathie pour les civils du Tigré, qui ont vécu dans les mêmes conditions durant une grande partie de l'année dernière.
"Je suis désolé pour eux en tant qu'être humain et en tant que croyant.Nous avons souffert pendant cette courte période mais pour eux, c'est long."
De leur côté, les combattants pro-gouvernementaux, galvanisés, affirment vouloir poursuivre leur avancée, même jusqu'à Mekele, la capitale du Tigré.
"J'étais très heureux quand j'ai appris que nous avions pris Lalibela, même si j'étais blessé", affirme Aliyu Ahmed Eshete, membre des forces spéciales amhara qui a eu le crâne éraflé par une balle de sniper il y a deux semaines: "Je veux me déployer à nouveau et servir mon peuple."
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