Il s'agit du tout premier pourvoi en cassation contre la loi sur l'homosexualité (punissable jusqu'à 3 ans de prison) dont ses promoteurs espèrent qu'il sera suivi d'autres qui feront jurisprudence. Deux hommes, qui ont purgé un an de prison ferme après leur condamnation en juillet 2020, vont en cassation pour s'opposer à "une sentence cruelle et qui va à l'encontre des standards internationaux", a expliqué leur avocate, Hassina Darraji, devant la presse après avoir déposé le recours. "Notre but c'est faire tomber l'article 230 (du code pénal datant de l'époque coloniale qui criminalise l'homosexualité, NDLR). Il s'agit d'une bataille judiciaire et humaine", a-t-elle dit. Même si cela pourrait prendre "plusieurs mois", ses clients veulent "créer un précédent en faisant annuler leur condamnation". A propos de "l'affaire du Kef", région du nord-ouest où se sont produits les faits, Mme Darraji a fustigé un "dossier complètement vide" et a dénoncé une condamnation prononcée à cause de leur refus de se voir pratiquer un test anal, ce qui a été considéré comme une preuve de leur culpabilité. L'avocat Lotfi Ezzedine, un responsable de l'Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT), a apporté le soutien de cet organisme indépendant, au recours en Cassation qu'il a qualifié d'"affaire emblématique et stratégique pour la Tunisie". "Notre position claire et ferme est le refus du test anal et sa condamnation comme une forme de torture", a-t-il dit, rappelant que la Tunisie s'est engagée en 2017 à l'abolir devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. En soutenant le pourvoi en cassation, l'INPT souhaite "l'ouverture d'un débat", et à terme, l'abolition de l'article 230 qui criminalise "un choix sexuel entre adultes". "Le jour où nous aurons un Parlement, ce sera un des premiers points à réviser", a-t-il dit, notant qu'un projet de réforme du code pénal existe "depuis cinq ans". - "très ému" - Pour M. Ezzedine, une décision favorable de la Cassation permettrait de "réhabiliter les deux personnes" et contribuerait "aux efforts menés pour abolir l'article 230". "Un arrêt de la Cassation aiderait énormément à l'ouverture d'un dialogue", selon lui. Badr Baabou, président de Damj, association qui défend la communauté LGBT depuis 20 ans, s'est dit "très ému de ce moment historique" et a salué "le courage des deux hommes" qui, à cause du procès, "ont perdu leur vie, n'ont plus ni travail ni logement". A propos du test anal, il a estimé que "la Tunisie fait partie des sept derniers pays au monde à suivre cette pratique moyenâgeuse et rétrograde qui ne respecte pas la dignité humaine". Selon M. Baabou citant des statistiques officielles, "il y a 150 personnes incarcérées pour homosexualité" et "les chiffres réels sont sans doute plus élevés". Depuis 2008, "plus de 2.600 personnes ont été incarcérées en vertu de l'article 230", selon Damj et le Collectif civil pour les libertés individuelles. Une représentante du Collectif a souligné le coût pour l'Etat, "plus de 25 millions de dinars" (plus de 7,5 millions d'euros) qui pouvaient "être investis dans des hôpitaux et autres infrastructures". M. Baabou a dit espérer "un débat dépassionné, juridique et sérieux" pour dépénaliser l'homosexualité, s'étonnant que la Tunisie malgré le "processus révolutionnaire" lancé en 2011 fasse encore "partie des pays qui condamnent explicitement ou implicitement l'homosexualité". Réputé conservateur, le président Kais Saied qui a suspendu les activités du Parlement jusqu'à des législatives prévues en décembre 2022, s'était opposé pendant la campagne qui a mené à son élection fin 2019 à une dépénalisation de l'homosexualité.
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