La jeune mère a attrapé Tahir, grièvement brûlé, et un autre de ses fils, fuyant à pied sous les tirs d'artillerie - attribués aux rebelles tigréens - sur son village de la région de l'Afar, dans le nord de l'Ethiopie.
Ils sont parvenus à s'échapper, mais restent sans nouvelles des six autres enfants d'Aicha, qu'elle craint d'avoir perdus pour toujours.
Plus de 15 mois après le début du conflit dans la région du Tigré, la plus septentrionale de l'Ethiopie, tandis que les envoyés spéciaux étrangers parlent de paix et que le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed évoque la guerre au passé, la région voisine de l'Afar en est devenu le front le plus actif.
Une récente offensive des rebelles du Tigré y a provoqué des destructions et des déplacements massifs, racontent responsables et habitants.
A travers cette zone aride, à la chaleur difficilement soutenable, des survivants choqués attendent de l'aide alimentaire dans des écoles transformées en camps de fortune pour déplacés.
Le seul hôpital de référence de l'Afar, à Dubti, est dépassé par l'afflux de victimes aux membres fracturés, et les médecins y manquent d'anesthésiants.
Les patients se demandent pourquoi personne ne semble leur prêter attention, déplorant que "leur voix n'ait pas été entendue", affirme le directeur de l'hôpital, Hussein Aden.
"Nous mourons depuis longtemps maintenant, mais personne ne nous écoute", confirme Aicha, assise avec Tahir sur un lit d'hôpital, chassant les mouches qui se posent sur le visage brûlé et boursouflé de son fils.
- Sous-armés -
La guerre en Ethiopie débuté en novembre 2020, au Tigré.L'Afar n'a pas connu de combats avant juillet 2021, lorsque les rebelles du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) s'y sont déployés.
Fin 2021, les combats en Afar se sont intensifiés, avant que M. Abiy, prix Nobel de la paix 2019, ne s'y rende pour diriger une contre-offensive qui a conduit au repli des rebelles au Tigré.
Mais ces hostilités d'alors sont peu de choses comparées aux dernières semaines, disent les Afar: attaques incessantes, combattants en grand nombre, armes plus lourdes, dont des tanks et des canons automatiques.
Les forces régionales afar, armées de fusils d'assaut Kalachnikov, sont largement sous-équipées.
"Vous ne pouvez pas gagner contre des mortiers avec des Kalachnikov", affirme Ibrahim Abdala, un milicien afar récemment blessé par balles à la poitrine.
- "Pas même un tapis pour dormir" -
Des civils afar ayant fui de récents combats décrivent des voyages éprouvants et interminables, à pied, vers des villes plus sûres mais incapables de les nourrir et de les abriter.
Selon des documents des autorités régionales consultés par l'AFP, on comptait 294.000 déplacés en janvier et selon un porte-parole de la région, le chiffre atteint désormais 350.000.
Ces déplacés ne savent pas quand ils pourront rentrer, alors que selon certaines informations le TPLF occupe la frontière ouest de l'Afar avec le Tigré.
"Toutes les écoles, cliniques, hôpitaux (...) ont maintenant disparu à la frontière ouest", observe Valerie Browning, une travailleuse humanitaire qui vit en Afar depuis plus de 30 ans.
"L'Afar a été saccagée, vandalisée et il ne reste pas grand-chose".
Ces affirmations n'ont pu être vérifiées de manière indépendante.
Lors de la visite de l'AFP, des dizaines de femmes et d'enfants partageaient une maigre nourriture, assis à l'ombre d'un acacia, près du lit asséché d'une rivière.
"Vous voyez la vérité de vos propres yeux.Nous avons été chassés de nos maisons et nous mangeons des biscuits", déclare Mohammad Adem Endrisi, un instituteur de 32 ans, originaire de la localité de Kuneba.
"Il y a des femmes enceintes parmi nous (...) nous n'avons même pas un tapis pour dormir."
- "Chemin de la destruction" -
Les travailleurs humanitaires s'inquiètent également des niveaux de malnutrition extrêmement élevés au Tigré voisin.
L'ONU affirme que les récents combats ont rendu impossible l'accès au Tigré via la route partant de la capitale de l'Afar, Semera, la seule voie terrestre opérationnelle.
Mais les rebelles soulignent que le Tigré subit un "blocus humanitaire de facto" - terme utilisé par l'ONU - depuis bien avant les combats en Afar, et continuent d'affirmer n'avoir jamais empêché les camions d'aide de passer.
Le TPLF affirme aussi avoir été "obligé" de lancer une offensive en Afar, après des attaques des forces pro-gouvernementales sur ses positions au Tigré et assure ne "pas avoir l'intention de rester longtemps" dans la région.
Mais les habitants de l'Afar restent sourds à ces arguments.
"Le TPLF a choisi le chemin de la destruction, pas le chemin de la paix", estime Ahmed Nuro, un responsable de la localité d'Abala, près de la frontière."Ils n'arrêteront jamais de faire feu".
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