"Barkhane est un échec dans la mesure où l'ambition affichée en 2014 lorsqu'il  prend le relais de Serval n'a pas été atteint, au contraire" (journaliste)

Infos. Le journaliste, écrivain et spécialiste des questions de sécurité dans  le Sahel Seidik Abba,  aborde dans son livre « Mali Sahel, notre Afghanistan à nous ? qui vient de paraître , les raisons de l'échec de l'opération française Barkhane au Mali. Il analyse aussi le rôle trouble que joue l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme dans le sahel et le désordre organisé des ONG humanitaires qui ne soutiennent pas véritablement les populations

"Barkhane est un échec dans la mesure où l'ambition affichée en 2014 lorsqu'il  prend le relais de Serval n'a pas été atteint, au contraire" (journaliste)
seidik abba - seidik abba

Dans votre livre vous revenez sur les 9 ans de présence  de la force française  barkhane au Mali  pour lutter contre le terrorisme . Aujourd'hui, les attaques vont au-delà du Mali, touchent le Sahel et aussi les pays du golfe de Guinée. 

Alors pour vous Barkhane, c’est un fiasco ? 

Oui, on peut dire que Barkhane est un échec dans la mesure où l'ambition affichée en  2014 lorsque Barkhane prend le relais de Serval, c'était de contenir la menace jihadiste 

dans le Sahel au-delà du Mali sur un territoire cinq fois plus vaste que la France. Et aujourd'hui au final, le terrorisme a gagné deux tiers du territoire malien alors qu'il était 

au début de Barkhane, à 20% du territoire malien . Et il s'est exporté au Niger, il s'est exporté au Burkina, il est arrivé aux portes des pays du 

golfe de Guinée, puisque comme on le sait, la Côte d'Ivoire    a été attaqué trois fois, le Bénin, trois fois et le Togo a repous au moins deux tentatives d’incursion terroriste. Je pense qu'on peut dire qu'en tout cas Barkhane n'a pas atteint ses objectifs, et d'ailleurs le président Macron lui-même en annonçant le départ de Barkhane du Mali a dit qu’on ne considère pas que le travail est achevé, on part du Mali parce qu'on ne s'entend pas avec la junte au pouvoir. 

Vous avez entendu récemment le porte-parole du chef d'état-major des armées françaises sur nos antennes, il refusait de parler d'échec. Vous pensez qu'il y a une gêne ou plutôt un embarras de la part des forces armées françaises d'admettre que leurs opérations au Mali a été un échec ? 

Non,je crois que les indicateurs avec lesquels il  mesure  le succès ne me semble pas les bons , qui suis Sahéliens en sais quelque chose .Les Français disent que Barkhane est un succès parce qu'on a éliminé Abdelmalek   Droukdel  , parce qu’on a éliminé Abou Walid 

Al-Sahraoui, alors qu'au Sahel, les populations considèrent que Barkhane  n’est pas un succès parce que la menace s’est étendue et parce qu'avec la multiplicité des attaques au quotidien, les populations ne voient  pas d'amélioration de leur sécurité.

Donc il y a une différence d'appréciation entre l’armée française qui considère que le succès se mesure à l'élimination de groupes djihadistes ou aux efforts qui ont été faits pour empêcher l'installation du califat comme ils disent, alors que localement les gens mesurent l'échec de Barkhane, ou en tous cas son efficacité, par rapport à l'extension du territoire et par rapport à la multiplication des attaques. Je dois même ajouter qu'aujourd'hui ni Barkhane, ni l’armée locale n'ont pu empêcher la prolifération des terroristes. Jusqu’en 2019,  les terroristes s’en prenaient uniquement aux forces de l'ordre,  aux symboles de l'Etat et à partir de 2019, ils ont changé de paradigme : ils s'en prennent aux forces de l'ordre mais ils s'en prennent aussi aux populations civiles notamment dans la zone des trois frontières où on a vu à Solhan,  en juin 2021,au Burkina Faso, 160 personnes tuées, à Banibangou au Niger, en septembre 2021, une centaine de personnes ont été éliminées par les groupes terroristes. 

Dans votre livre,vous révélez que le rôle de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme, l'Algérie qui est un acteur clé ayant négocié les accords de 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés, n’est pas très clair.
Pour l’illustration, un chef jihadiste repéré par l'armée  française mais finalement laissé en vie à la 
demande d'Alger. 

Il y a une ambiguïté, ce n'est pas un secret de la part de l’Algérie. Dans le livre, j’explique par exemple que l'Algérie n'a jamais coopéré avec le G5 Sahel. Le G5 Sahel a été créé en 2015, à aucun moment, le secrétariat du G5 Sahel n a été invité à une manifestation officielle en Algérie, parce que l'Algérie considérait que le fait de mettre en place le G5 Sahel, à son insu, sans l’associer, était presque une erreur, et donc du coup elle n'a pas participé. Et sur le plan aussi des relations avec les Etats, au Mali on voit beaucoup d'ambiguïtés de la part de l’Algérie qui un jour est médiateur, l'autre jour tolère le groupe terroriste. 

On sait par exemple que Iyad Ag Ghali qui est aujourd'hui le terroriste le plus recherché en tout cas par des forces internationales, se ballade sur la frontière entre l'Algérie et le Mali et l'Algérie a toujours eu une relation assez ambiguë avec lui . 

On va terminer avec cet autre élément que vous relevez dans votre livre c'est la multiplicité  des acteurs qui interviennent notamment dans l'aspect humanitaire. On voit au-delà de multiples médiateurs ou émissaires nommés par diverses organisations, que les acteurs humanitaires ne feraient pas ce qu'il faut pour soulager les souffrances des populations, chacune a son agenda.  

Absolument, c’est ce que j’explique dans mon livre, et je pense que c’est l’un des épisodes les plus intéressants. On  parle de 18 milliards d'euros qui ont été investis pour le Sahel mais on ne le voit pas concrètement au Sahel, parce qu' il y a une machine bureaucratique, parce qu'il y a la concurrence entre eux et que finalement personne ne fait rien au profit des populations, les gens font des choses pour leur salaire, pour leur confort, dans leur bureau climatisé à Bamako, à Niamey ou à Ouagadougou, mais les populations  n’en voient rien.  

Décryptage Seidik Abba

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