Avec ses trois enfants, cette mère de 26 ans a parcouru durant cinq jours, à pied et "sans manger", les 70 kilomètres qui séparent son village de cette grande ville située à 250 kilomètres de la capitale Mogadiscio.
Elle s'est installée à Muuri, un des 500 campements de déplacés que compte l'agglomération, où les aqal - huttes traditionnelles en forme de dôme - bricolés à la hâte se multiplient ces dernières semaines.
Ruinés, affamés, assoiffés, ils sont de plus en plus nombreux à converger vers Baidoa depuis les campagnes du sud de la Somalie, une des régions les plus durement frappées par la sécheresse qui accable la Corne de l'Afrique.
Selon l'ONU, près de 13 millions de personnes - agriculteurs et éleveurs - ont faim dans cette partie du continent: 5,7 millions en Ethiopie, 2,8 millions au Kenya et 4,3 millions en Somalie, soit un quart de la population du pays.
Plus de 550.000 Somaliens ont quitté leur foyer à la recherche d'eau et de nourriture ou de pâturages pour leur bétail, un chiffre qui a doublé en janvier, selon l'ONU.
- "Nous n'avons plus rien" -
Salado et son mari ont vu leurs cultures dévorées par les criquets qui ont ravagé l'Est de l'Afrique ces dernières années.Le peu qui leur restait a été anéanti par une troisième saison des pluies inférieure à la moyenne.
"Trois chameaux morts, dix chèvres - on en a mangé certaines, d'autres sont mortes et on en a vendu quelques-unes - et cinq vaches mortes à cause du manque d'eau et de pâturage", énumère la jeune femme: "Nous n'avons plus rien".
Avec son mari et ses enfants, ils ont pris la route de Baidoa, dernier espoir de survie dans la région.Les campagnes étant sous contrôle des islamistes shebab, quasiment aucune aide ne peut être acheminée hors de la ville.
Son mari, atteint de tuberculose, n'a pas atteint Baidoa.Trop faible, il a rebroussé chemin.Elle est sans nouvelle depuis.
Même à Muuri, Salado peine à assurer un repas par jour à ses enfants."Parfois, on a à manger, parfois pas.(...) S'il n'y a pas assez, je me sacrifie", explique-t-elle, le regard fatigué.
- Spectre de 2011 -
Depuis plusieurs semaines, les organisations humanitaires multiplient les alertes sur la dégradation de la situation dans la Corne de l'Afrique, qui fait craindre un drame similaire à celui de 2011, la dernière famine qui avait fait 260.000 morts en Somalie.
Le manque de pluie depuis fin 2020 est venue porter un coup fatal à des populations déjà éprouvées par une invasion de criquets entre 2019 et 2021 et la pandémie de Covid-19.
"On avait nos réserves habituelles de sorgho, mais on les a mangées ces trois dernières années.Elles sont terminées", explique Ibrahim Mohamed Hassan, sexagénaire aveugle qui a marché une soixantaine de kilomètres avec sa famille jusqu'au camp de Garas Goof.
Dans son village, 30 des 50 familles sont parties."Les autres vont suivre", prédit le vieil homme en réajustant ses lunettes de soleil rafistolées avec un élastique.
- Malnutrition et maladies -
Depuis une décennie, Baidoa est habituée à accueillir de larges afflux de population.Le nombre de campements de déplacés a explosé, de 77 en 2016 à 572 aujourd'hui.En octobre dernier, la ville comptait 475.000 déplacés, soit 60% de sa population estimée entre 700.000 et 800.000 habitants.
Mais au centre médical du camp Tawkal 2 Dinsoor, l'ampleur de l'exode des derniers mois inquiète.
"Avant, on recevait environ un millier de personnes, voire moins, par mois.Aujourd'hui, nous en accueillons 2.000 à 3.000", explique Hassan Ali Amin, le responsable du centre, qui observe une recrudescence des cas de malnutrition et de diarrhées chez les enfants, ainsi que les maladies (rougeole, pneumonie...) accablant les corps déjà affaiblis.
A ce rythme, "nous craignons des pénuries d'eau et de médicaments", ajoute-t-il.
"Si la situation continue de s'aggraver, on s'attend à accueillir des milliers, des centaines de milliers de personnes", confirme Mohamednur Mohamed Abdirahman, directeur terrain de l'ONG Save The Children, qui intervient dans plusieurs campements et infrastructures médicales à Baidoa.
- "Triste et maigre" -
Abdulle Kalar Maaney, lui, ne veut pas croire au scénario tant redouté: une quatrième saison de pluies insuffisantes.Il a "grand espoir" que la pluie revienne en mars et qu'il puisse retourner dans son village.
Il est arrivé à Muuri avec sa femme et ses dix enfants en ayant perdu ses dernières possessions: son âne et sa charrette.Il comptait dessus pour gagner un peu d'argent une fois à Baidoa, mais l'âne est mort durant les 90 kilomètres de voyage et il a abandonné la charrette.
"Jamais je n'aurais pensé me retrouver comme ça", soupire cet homme élancé de 48 ans, dans sa chemise devenue trop grande.
"J'étais gros et costaud quand j'avais mon bétail", explique-t-il: "Je suis devenu triste et maigre depuis que la sécheresse a tout tué".
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