Dans cette région reculée de ce pays parmi les plus pauvres du monde et en guerre civile, les violences sexuelles visant les femmes, les adolescentes et même les fillettes ne cessent d'augmenter.Commises aussi bien par les rebelles et miliciens que par les forces de sécurité, selon l'ONU.
A Paoua, à 500 km au nord-ouest de Bangui, un centre d'écoute reçoit les victimes.Au bout d'une piste bordée par les manguiers se cache une paillote meublée d'un simple bureau.Ni affiche, ni panneaux.Pour des questions de confidentialité, mais aussi de sécurité.
Chaque jour, deux assistantes psychosociales travaillant pour le Conseil danois pour les Réfugiés (DRC) y écoutent plus d'une dizaine de victimes.Dont Maïa.
Accablée, l'adolescente n'arrive pas à poser des mots sur ce qu'elle ressent.Mais, d'une voix basse et timide, elle accepte de partager son traumatisme: "J'étais seule au champ quand un homme enturbanné et armé m'a attrapée".Maïa a du mal à prononcer le mot "viol"."je lui ai dit que j'étais vierge et je l'ai supplié de ne pas me faire de mal"...
- L'enfant de son bourreau -
En vain, puisqu'elle porte aujourd'hui l'enfant de son bourreau.
Comme Maïa, Marie était à la recherche de manioc pour nourrir les siens lorsque deux hommes armés ont surgi.Son mari a fui, elle n'en a pas eu le temps."Ils m'ont attaché les mains, ont déchiré mes vêtements et m'ont violée chacun leur tour", lâche la jeune femme de 23 ans, qui porte un pagne aux couleurs de la "Journée internationale de la Femme".
Les mêmes histoires se répètent au fil des entretiens.la plupart sont violées dans les champs par des rebelles des 3R (Retour, Réclamation, Réhabilitation), une puissante milice.
"Ici ce sont majoritairement les femmes qui s'occupent de nourrir leur famille et cultivent", explique l'assistante psychosociale Lola.Comme pour Maïa et Marie, son prénom a été changé pour sa sécurité."Seules et sans défense aux champs, elles sont une aubaine pour les nombreux rebelles", poursuit-elle.
Après avoir fortement baissé d'intensité depuis trois ans, la guerre civile, entamée en 2013 entre un État quasi-failli et une multitude de groupes armés, a connu un brusque regain il y a un an quand des rebelles ont lancé une offensive pour renverser le président Faustin Archange Touadéra.
Ces groupes contrôlaient alors les deux tiers de la Centrafrique.Mais, après une fulgurante contre-offensive de l'armée et de centaines de paramilitaires russes, ils ont été repoussés hors des agglomérations et Bangui a reconquis la majeure partie du territoire.
Dans les campagnes cependant, les miliciens ont changé de tactique et multiplient les actions furtives de guérilla et le harcèlement des civils.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) a recensé 6.336 cas de violences basées sur le genre (VBG) entre janvier et juillet 2021 dans tout le pays, dont un quart de violences sexuelles, une augmentation de 58% par rapport à la même période en 2020.
Dans la région de Paoua, rebelles et miliciens sont plus actifs.Dans des rapports récents, l'ONU ou des experts qu'elle mandate ont accusé forces centrafricaines et paramilitaires russes de se livrer eux aussi à des viols.
- Données alarmantes -
À l'hôpital de Paoua, des panneaux interdisent le port des armes.Le docteur Fabrice Clavaire Assana gère un espace dédié aux victimes de VBG.Il parle de "données alarmantes".Une dizaine de femmes et filles patientent devant une porte à la peinture rose encore fraîche.
"Après une phase d'écoute et de mise en confiance, il faut procéder à l'examen gynécologique et fournir le traitement d'urgence", explique le médecin.
Seulement, la pilule du lendemain, le vaccin contre l'hépatite B, le traitement contre les infections sexuellement transmissibles ou le VIH ne fonctionnent qu'administrés dans les 72 heures, "ce qui est rarement le cas", se désole le Dr Assana.
Juste après son agression, Marie a marché 50 km en "priant" pour ne pas tomber sur une mine ou des belligérants."Affolée et honteuse, je me suis d'abord rendue avec mes vêtements déchirés chez mes beaux-parents mais ils ne pouvaient pas payer mon transport jusqu'à Paoua", raconte-t-elle.
"Jour et nuit je revis la scène, je ne peux pas retourner au champ", souffle Marie, le visage enfoui dans ses mains, en ajoutant: "Mon mari a fui et je me retrouve seule à nourrir mes deux enfants sans pouvoir cultiver".
Ces crimes demeurent quasiment toujours impunis en l'absence de tribunaux qui fonctionnent.Maïa et Marie n'ont donc pas porté plainte.
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