Le 10 avril dernier, le colonel Mouammar Kadhafi recevait sous sa tente à Tripoli la délégation de l'Union africaine venue lui proposer une « feuille de route » pour une sortie de crise politique et négociée. Cette délégation était composée des présidents Jacob Zuma (Afrique du Sud), Amadou Toumani Touré (Mali), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie) et Denis Sassou Nguesso (Congo), et du ministre ougandais des Affaires étrangères, Henry Oryem Okello. D'emblée, les premières images télévisées de la rencontre entre le Guide des Sables et ses homologues africains en disaient long sur l'issue de cette « grande » initiative de l'UA. Embrassades chaleureuses, plaisanteries complices et congratulations appuyées�?� Même en ces temps difficiles en Libye, même devant les objectifs des caméras, les bonnes vieilles habitudes demeuraient intactes : pas une once de pudeur chez ces compères pour, ne serait-ce que tenter de dissimuler cette insupportable connivence qui se défie de la réalité ambiante. C'est en observant de telles images qu'on réalise, un peu plus encore, que la honte a définitivement déserté l'espace politique à maints endroits sur ce continent�?�La palme de l'impudeur revient, sans conteste au Congolais Denis Sassou Nguesso, sanglé dans son costume d'impénitent « sapeur », bousculant ostensiblement ses compagnons de voyage pour se poster, tout sourire, au plus près du colonel libyen, pour la photo�?� Comment accorder à Sassou Nguesso, au regard de son bilan politique, l'autorité requise pour rallier des insurgés à sa parole ? Avec de telles images sur les écrans de télévision du monde entier, comment imaginer que les révoltés de Benghazi puissent adhérer à la feuille de route de cette équipée ubuesque ? Le déni de réalité est la chose la mieux partagée chez nombre de dirigeants africains. Surtout chez ceux qui, comme le dit cette célèbre saillie politique, continuent à s'« attacher au pouvoir comme un ivrogne à un réverbère ». Tout en prenant garde à ne pas confondre le parcours politique d'un Sassou Nguesso avec celui d'un Jacob Zuma ou encore d'Amadou Toumani Touré, force est de reconnaître que l'attelage, dans son hétérogénéité �?? justement -, avait, dès l'origine, de quoi susciter, au moins, la perplexité.Mais au-delà de la navrante composition de ce panel de médiateurs, la question essentielle était bien celle-ci : que venait-il proposer ? La « cessation immédiate de toutes les hostilités», et�?� le dialogue entre les belligérants. Sans hésiter, le colonel Kadhafi a accepté, dans son intégralité, cette feuille de route. On en rirait, si l'affaire n'était pas aussi tragique. Nul besoin d'être omniscient pour comprendre que les propositions, adaptées aux humeurs de l'Homme Fort du Désert et aussi aisément « acceptées » par lui, seraient en toute logique rejetées par les insurgés qui avaient déclaré « ne pas attendre grand-chose de cette visite de dirigeants africains redevables envers Kadhafi ». Les membres du Conseil national de transition affirmeront ensuite leur accord « pour une solution politique », mais à une condition, non négociable : « le départ de Mouammar Kadhafi et de ses fils hors de Libye ». A quoi aura servi cette visite des médiateurs de l'UA à Tripoli et Benghazi ? A rien.La position de l'Union africaine a toutefois le mérite de la constance : non à la solution militaire, oui au dialogue, conformément aux principes de l'organisation panafricaine qui s'inspirent de la « palabre africaine »�?� La question est de savoir si les vertus de cette palabre sont encore, ou toujours, adaptées aux crises des temps actuels�?� Mais ceci est une autre histoire�?� L'on a pu en constater les cruelles limites en Côte d'Ivoire, où l'opposition systématique de l'UA à une intervention militaire « ciblée » de la Cedeao a fini par produire le pire résultat : la guerre, totalement, au bout du chemin�?�Fait curieux, cependant : par-delà les critiques formulées contre l'UA, tout porte à croire que c'est encore elle qui détient la clé de la solution des crises en cours, et notamment en Libye. En dépit de ses lacunes, de ses faiblesses, de la perte de crédit de plusieurs de ses membres ou de son incapacité récurrente à s'adapter aux mutations qui s'opèrent à travers le continent africain, son autorité est en construction, au rythme des événements. L'UA dispose, organiquement, des atouts nécessaires pour renforcer cette autorité, l'exprimer et, partant, l'imposer dans le concert de nations. Ces crises constituent, peut-être, une opportunité historique pour forcer la réforme nécessaire de la Commission de l'UA, transformer ses prérogatives actuelles en une indépendance accrue vis-à-vis des pouvoirs en déroute, et plus généralement des �?tats et de leurs dirigeants, toujours prompts à figer l'UA dans ses contradictions et à paralyser ses aspirations émancipatrices.Si le départ de Mouammar Kadhafi du pouvoir est la condition admise par tous pour résoudre la crise libyenne, l'UA est la seule institution aujourd'hui en mesure d'obtenir cette issue. La seule à pouvoir faire plier Kadhafi, étant la seule instance sur laquelle le guide libyen peut encore s'appuyer actuellement pour affirmer son « bon droit ». Kadhafi accepterait de ses « frères africains » ce qu'il refusera jusqu'au bout de « l'impérialisme occidental »�?� Alors que se révèlent les limites de l'action « occidentale » �?? aussi bien sur le plan politique que militaire -, l'UA dispose d'une exceptionnelle marge de man�?uvre, et il ne tient qu'à elle de l'exploiter pleinement. En devenant la promotrice d'une ère nouvelle en Libye, une nouvelle page de sa propre histoire pourrait s'ouvrir. Tout au fond d'eux, les Africains espèrent de l'organisation panafricaine, davantage ce sursaut que son trépas. Et les critiques adressées quotidiennement à son encontre, ne sont souvent que l'expression, parfois désespérée, de cette attente si souvent contrariée.[Retrouvez tous les posts de Francis Laloupo->http://francislaloupo.wordpress.com/]
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