Si les pays producteurs de brut engrangent des revenus supplémentaires depuis que la crise ukrainienne a fait grimper les prix mondiaux du pétrole au-dessus de 100 dollars le baril, les Nigérians, eux, sont accablés par une énième pénurie.
Avec ces prix élevés, le président Muhammadu Buhari évoque une "belle opportunité" pour son pays, premier producteur de pétrole en Afrique.Difficile à croire pour Abdulazeez Oyefeso qui a attendu plus de trois heures pour faire le plein.
"C'est plus de revenus pour le pays mais qui ne redescendent pas jusqu'au commun des mortels", se désole ce comptable, appuyé sur sa Lexus devant une station-service de Lagos, la capitale économique.
De l'autre côté de l'avenue, des vendeurs de rue portent des bidons d'essence jaunes et des entonnoirs fabriqués à partir de bouteilles d'eau.Ils se faufilent entre les voitures et proposent leur service, moyennant de fortes commissions.
La vente de pétrole représente 90% des recettes d'exportations du Nigeria.Mais pour le pays le plus peuplé d'Afrique, la hausse des prix du pétrole - la plus forte depuis 2014 - se matérialise dans les faits par des dépenses plus élevées.
Car malgré tout le pétrole qu'il extrait, le Nigeria importe la majorité de son carburant car ses quatre raffineries ne fonctionnent pas ou bien en-deçà de leur capacité, s'exposant ainsi à des problèmes fréquents d'approvisionnement.
- Dormir dans sa voiture -
Depuis les années 70, l'État nigérian subventionne le carburant pour garder des prix à la pompe artificiellement bas.Un système qui siphonne chaque année des milliards de dollars des caisses publiques.
Mais c'est là une des mesures les plus populaires auprès des Nigérians et aucun gouvernement n'a pris le risque politique d'y mettre fin.
Actuellement, un litre d'essence coûte en moyenne 165 naira (36 centimes d'euros).Sur le marché noir, c'est jusqu'à trois fois plus.
Le gouvernement peine à mettre fin à la pénurie de carburant qui a débuté le mois dernier, avant l'offensive russe en Ukraine, et qui a été causée, selon les autorités, par l'importation d'essence frelatée par quatre négociants.
Depuis le début de la semaine, Lagos et les autres grandes villes sont paralysées par des embouteillages monstres.
Dans la mégalopole de 20 millions d'habitants, certaines stations-service ont tout simplement fermé.
"Ma jauge était dans le rouge quand je suis parti de la maison tôt ce matin mais la voiture s'est arrêtée en chemin.Heureusement, j'avais un petit réservoir de réserve", a expliqué Onifade, un conducteur à Lagos.
Dans le quartier d'Awolowo, où plusieurs stations-essence restent ouvertes, les routes sont complètement bloquées.Les conducteurs attendent sur le trottoir.Certains y passent la nuit.
"Les gens qui ont eu du carburant ce matin sont ceux qui ont dormi dans la file d'attente hier soir", a poursuivi Onifade."Et ces gens que vous voyez en ce moment même vont peut être dormir ici ce soir".
- "Coincé" -
Aujourd'hui, le pays produit 1,4 million de barils par jour dont la majorité provient de projets off-shore "en eaux profondes" que le gouvernement taxe entre 20 à 30%, explique Bismarck Rewane, économiste dans une entreprise spécialisée en produits financiers dérivés.
"L'augmentation du prix n'est pas suffisante pour compenser la perte de production", poursuit M. Rewane."En théorie, le scénario semble excellent mais dans la réalité, c'est plus compliqué."
La ministre des Finances avait évoqué l'année dernière la suppression des subventions des carburants d'ici fin juin, comme le préconisent le FMI et la Banque mondiale.
Mais en janvier, les ministres ont fait machine arrière pour acheter la paix sociale un an avant l'élection présidentielle.
Le Nigeria est "coincé dans un système de subventions qui garantit que des prix élevés de pétrole entraînent une augmentation exponentielle des dépenses publiques", explique le cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence.
"Les gains ponctuels dans les caisses de l'État risquent donc de ne pas faire une grosse différence dans le déficit budgétaire".
Loin de ces préoccupations macroéconomiques, les vendeurs ambulants de Lagos n'ont pas manqué l'occasion d'arrondir leurs fins de mois en se lançant dans le marché noir.
A la base vendeur de tapis, Ahmed est assis sur un bidon d'essence de 10 litres sur le bord de la route.Finalement "c'est notre pétrole", dit-il."Et c'est un moyen de faire de l'argent rapidement".
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