Quels sont les défis auxquels les médias européens sont confrontés dans la couverture du conflit russo-ukrainien déclenché depuis le 24 février dernier ?
Pour la couverture sur le terrain, il y a un problème de sécurité pour les journalistes puisqu’ils sont exposés à des bombardements voire même à des tirs ciblés. On les vise délibérément. Et puis en Europe d'une manière générale, il y a le problème de la désinformation à côté de la guerre traditionnelle classique. Il y a une guerre de l'information, on assiste à une dissémination massive de désinformation, de fake-news, de propagande et donc, c'est un défi aussi pour les rédactions.
Quelle appréciation faites-vous des contenus offerts sur la guerre par les différents médias européens ?
Il y a une situation très difficile dans le sens où on a une véritable chape de plomb sur la presse indépendante en Russie. Des tas de médias indépendants ont été fermés par le gouvernement ou ont renoncé d’eux-mêmes à continuer à faire leur métier dans les conditions de censure abominable dans lesquelles on les plaçait. Il y a une nouvelle loi qui a été votée et qui menace de quinze ans de prison tout journaliste qui se ferait accuser ou suspecter de faire de la désinformation à propos des forces armées russes.
Donc chape de plomb du côté russe et situation sécuritaire très dangereuse en Ukraine. On a déjà six journalistes tués dans l'exercice de leurs fonctions. On assiste aussi à un phénomène inquiétant d'enlèvements de journalistes par les forces russes, ce qui demande beaucoup de prudence du côté des rédactions européennes pour essayer de couvrir l'information de manière correcte.
Vous parlez de chape de plomb sur des médias russes indépendants. Est-ce que vous voulez dire que les informations ou les contenus proposés par les médias européens respectent, eux, le principe de l'indépendance et de l’équilibre de l’information ?
Je pense que oui, la plupart des rédactions européennes tentent de faire leur métier en respectant les règles déontologiques et l’intérêt public. Ce n’est pourtant pas évident dans le sens où les sources d'information sont difficiles et biaisées tant du côté ukrainien que du côté russe. Il y a des efforts déployés par les gouvernements pour manipuler et influencer l'opinion. En même temps, beaucoup de médias ont encore des correspondants sur le terrain.
Faut-il comprendre que la fédération européenne des journalistes observe que la manipulation des informations sur la guerre en Ukraine est exclusivement du côté de la Russie ?
Non, notre rôle n'est pas d'observer les contenus médiatiques. Ce n’est pas la fédération qui représente les médias mais, plutôt les journalistes. Ce que je peux dire c'est que des tas de journalistes, la majorité, essayent de faire leur métier en respectant les règles déontologiques et autres. Mais, je le répète, ce n'est pas facile sur le terrain de l’Ukraine où on est face à un terrain de guerre donc, qui n'est pas facilement accessible et qu'en plus il y a une manipulation massive de l'information diffusée par les autorités au pouvoir dans les deux pays, en Russie et en Ukraine.
Mais je ne dis pas que tous les médias font ou ne font pas de la manipulation. Ce n'est pas mon rôle d'observer, pour savoir cela vous devriez plutôt interroger les experts de l'analyse des médias. Moi, mon rôle c'est de défendre, de protéger les journalistes et de faire en sorte qu'ils puissent faire leur métier dans de bonnes conditions.
Dans quel état d'esprit sont aujourd’hui les journalistes ukrainiens notamment ? Que vous disent-ils ?
Je suis en contact au quotidien avec nos deux syndicats ukrainiens qui représentent ensemble 10.000 (dix mille) journalistes. Il faut savoir que la plupart des journalistes sont restés sur place donc on a eu très peu de demandes d'évacuation. Sauf quelques journalistes ukrainiens, des femmes essentiellement ,puisque les hommes de toute façon ne peuvent pas quitter le pays …
Beaucoup de journalistes continuent à faire leur travail y compris dans les régions occupées par l'occupant russe. On assistait ces derniers jours à des enlèvements de journalistes, les services secrets russes essayant de les convaincre de coopérer en diffusant de fausses informations, à passer aux aveux de choses qu’ils n'avaient pas faites. Ils ont continué à faire leur travail en bonne et due forme.
Vous avez dénoncé dans un communiqué fin février, la suspension de deux médias publics russes par l'Union Européenne. Depuis, la Fédération européenne des journalistes a-t-elle pris des initiatives visant à attirer l'attention de l'U.E. sur ce que vous avez qualifié de censure ?
Nous estimons que même si ces chaînes étaient accusées de diffuser de la propagande il n'était pas sain de les censurer purement et simplement. Il faut dire qu'on assiste ici à une censure gouvernementale sur base arbitraire ; on n’a pas de capacité d'agir en justice. Par contre, les chaînes impactées avaient introduit une action en justice devant la cour européenne de justice. Aux Pays- Bas, les journalistes veulent aussi attaquer la décision de l'UE en justice. Nous soutenons ces actions, je suis inquiet parce que je vois des gouvernements dans des États qui se disent démocratiques, contourner le droit normal des médias.
On voit aujourd'hui des gouvernements qui agissent et donnent des arguments aux régimes autocratiques. On a vu la junte au Mali récemment fermer RFI et France 24, en Afghanistan où le gouvernement taliban vient de fermer la BBC. Ce n’est pas un bon exemple.
Décryptage Ricardo Gutiérrez
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