Comme de nombreux Camerounais, il a longtemps attendu la compétition phare du continent, a investi, mais n'a pas récolté les gains escomptés.
"J'y croyais.Je pensais que ça allait décoller pour la finale, mais depuis la défaite jeudi des Lions indomptables (l'équipe nationale camerounaise, ndlr), je ne vends plus rien.Les gens sont déçus", lâche-t-il, dépité.
"Moi, je suis débrouillard.Pour la CAN, on s'est cotisé en famille.On a investi un million de francs CFA (1.500 euros environ).Je pense qu'on va rentrer dans nos frais mais on ne fera pas de bénéfice, il n'y a pas assez de visiteurs", estime-t-il.
Le quadragénaire, qui enchaîne les petits métiers, se prépare déjà à changer d'activité, comme "emballer des paquets cadeau"."Il faut bien se battre pour continuer à vivre et nourrir la famille".
- "Gâchis total" -
Au Cameroun, la quasi-totalité - 90% - de la population active, tire ses revenus du secteur informel, selon la Banque mondiale.
Pour les commerçant du marché artisanal de la capitale, qui fondaient de grands espoirs sur la CAN, la déception est également grande.
"Cela faisait trois ans qu'on attendait ce moment, qu'on produisait des marchandises pour les visiteurs de la CAN.Mais il n'y en a pas eu.On n'a même pas fait un meilleur mois que d'habitude.C'est un gâchis total", témoigne Pierre Tjabag, 40 ans devant son étal de sculptures traditionnelles.
"On n'y arrive plus.Je pense sérieusement à arrêter.Je vais travailler dans les transports", affirme un autre vendeur de sculptures, Aboubakary, qui ne porte pas de patronyme à l'état civil."Et moi, j'ai commencé l'élevage de volailles", le coupe son associé Aboubakary Seydou.
Tous deux viennent de la région de l'Extrême-Nord, pauvre et frappée par les attaques jihadistes."Là-bas, c'est dix fois pire qu'ici.Il n'y a pas d'emploi", expliquent-ils.
L'économie camerounaise, qui représente plus de 40% du PIB de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac), est la plus diversifiée de la région.Mais un tiers des habitants vit avec moins de deux euros par jour et le taux de pauvreté atteint près de 40% dans un pays où le salaire minimum est de 36.200 francs CFA, environ 55 euros.
Durement frappés par le ralentissement économique lié à la pandémie de Covid-19, au conflit séparatiste anglophone à l'Ouest et aux incursions jihadistes à l'extrême-nord, les commerçants camerounais voyaient la CAN, deux fois reportée en 2019 et 2021, comme une lueur d'espoir pour se relancer.
- Peu d'étrangers -
"On pensait qu'avec la CAN viendraient des étrangers pour nous faire la recette.J'ai beaucoup produit, fait des belles pièces en décembre, mais ça n'a rien changé pour nous.Nous sommes très déçus", explique Habiba Hulgen, au milieu de ses robes et tissus multicolores en wax et bazin, dans l'atmosphère feutrée de sa petite boutique du quartier musulman de Yaoundé.
Même dans le secteur du tourisme, les bénéfices ont été en-deçà des attentes."Hormis les journalistes et officiels, mes collègues et moi n'avons vu personne ayant fait le déplacement pour l'événement", souligne Alain Pokam, directeur depuis 15 ans d'une société de tourisme et de transports.
Pour Chantal Lewat, présidente du syndicat des hôteliers du Cameroun, le constat est aussi amer: "les hôtels de luxe choisis pour recevoir les délégations officielles ont fait des bénéfices, mais les populations africaines n'ont pas voyagé et les petits hôtels, dont beaucoup avaient investi, n'ont presque rien tiré de l'événement", estime-t-elle, "la faute en grande partie au Covid et à la menace qui a plané jusqu'au bout sur un nouveau report de la CAN".
"Pour tous les petits acteurs de l'informel, l'impact de la compétition a été très faible.Il n'y a pas eu de retombée.Mais au niveau macro (économique), on peut espérer que la CAN a renouvelé l'image de marque du Cameroun", analyse Christian Lambert Nguena, économiste à l'université de Dschang, dans la région de l'Ouest.
Un autre économiste, Dieudonné Essomba, met lui en garde contre "le contrecoup des efforts consentis pour l'organisation", qui "pourrait générer une crise de la dette", surtout "s'il n'y a pas de stratégie de valorisation des infrastructures créées pour la CAN".
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