"Nous pensons que l'implication de la France peut faire une grande différence; nous comptons sur la France pour faire avancer la question de la justice transitionnelle", a lancé le médecin congolais dans un entretien mardi avec l'AFP, à l'issue de sa conférence à Paris devant l'Académie nationale de médecine qui lui a remis le titre de membre Honoris Causa.
"La France connaît mieux le Congo que tous les autres pays, à part la Belgique, qui n'est pas au Conseil de sécurité", a affirmé M. Mukwege.
"Le Congo, c'est le plus grand pays francophone (...) la France a une histoire commune avec le Congo, de la langue, de la connaissance de la question congolaise".
Le gynécologue et chirurgien, fondateur de l'hôpital de Panzi, au Sud-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), a reçu en 2018 le prix Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes victimes de viols utilisés comme armes de guerre. L'homme a consacré sa vie à soigner les femmes victimes de ces violences en RDC et dans d'autres pays.
Les Kivu, en proie aux violences armées depuis plus de 25 ans, restent l'épicentre des violences sexuelles dans l'ex-Zaïre, contre lesquelles Denis Mukwege, 66 ans, tente inlassablement de mobiliser, estimant à "120 le nombre de groupes armés dans l'est du Congo".
Lors de son discours devant l'Académie, le docteur a rappelé que ces viols étaient souvent perpétrés par les hommes en armes contre des femmes devant leurs maris, enfants et communauté pour jeter encore plus l'opprobre sur elles.
"Le corps des femmes et des jeunes filles, parfois même des bébés, est devenu un champ de bataille", a-t-il lancé à propos de l'est du Congo, qualifiant le viol comme arme de guerre de "crime absolu" qui vise à la "destruction de la femme, de la famille et de toute une communauté".
Dans son hôpital, le gynécologue, connu dans le monde entier comme "l'homme qui répare les femmes", soigne des patientes "dont l'appareil génital a été déchiqueté" par des balles tirées par leurs bourreaux après qu'elles aient été violées.Certaines sont aussi mutilées par "des objets tranchants ou contondants" ou brûlées au niveau de leur appareil génital.
- "Crise de notre humanité" -
Il précise avoir eu à soigner des femmes ayant subi ces atrocités plusieurs fois dans leur vie.
"Nous ne sommes plus confrontés à une simple crise humanitaire mais à une véritable crise de notre humanité", a-t-il lancé lors de sa conférence.
Interrogé par l'AFP pour savoir s'il estimait que les autorités congolaises actuelles en faisaient assez pour mettre en place une justice transitionnelle, le Prix Nobel a répondu: "non".
"Je dois être direct et franc: je pense qu'on peut faire mieux.Je ne vois pas la construction de la paix sans justice" en RDC, a-t-il dit.
"Il y a eu tellement de crimes, et malheureusement les criminels sont aux postes de commandement dans l'armée, dans la police, ils occupent aussi des postes politiques.Et le fait qu'ils occupent ces postes, vous comprendrez qu'ils font tout pour étouffer la vérité, ça veut dire aussi que tous les criminels continuent à commettre des crimes (...) en toute impunité", a-t-il fustigé.
"Cette justice transitionnelle doit passer par la réforme des institutions, de l'armée, de la police; ceux qui ont commis des crimes, leur place n'est pas dans l'appareil de l'Etat".
Concernant la situation sécuritaire récente au Nord-Kivu - qui est depuis début mai sous état de siège, une mesure exceptionnelle qui a donné les pleins pouvoirs aux militaires -, M. Mukwege a estimé que cela "n'a pas amené la paix, au contraire".
Dans cette province, les armées congolaise et ougandaise mènent depuis le 30 novembre des opérations militaires conjointes contre des positions des rebelles du groupe Forces démocratiques alliées (ADF).Groupe le plus meurtrier en RDC, les ADF sont accusées par l'Ouganda d'être responsables d'attentats sur son sol.
La RDC entretient des relations en dents de scie avec ses voisins du Rwanda et de l'Ouganda.
"Inviter l'Ouganda dans le conflit actuel pour essayer de le résoudre, je parle de +pyromane pompier+ (...) Je ne vois pas comment les pays qui soutiennent les groupes armés, qui sont très actifs dans l'exploitation illégale des ressources de la RDC, on peut les appeler pour sécuriser la RDC...Pour moi, c'est une aberration", a-t-il conclu.
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