Ce vieux monsieur alerte de 87 ans, qui a perdu un bras et l'usage d'un œil lors d'un attentat au Mozambique voisin perpétré par le régime raciste en 1988, deux ans avant la libération de prison de Nelson Mandela, pose un regard affuté, sans concession, sur son pays imparfait, des décennies après sa "lutte" et celui de ses camarades de l'ANC.
Il a quitté sans retour le parti historique, aujourd'hui encore au pouvoir, pour pouvoir siéger à la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction du pays, après l'élection du président Mandela en 1994."Je ne fais plus de politique aujourd'hui, mais les valeurs pour lesquelles je me suis battu sont dans la Constitution", dit-il paisiblement.
Jeune étudiant en droit, au début des années 1950, il ne ratait jamais une occasion pour venir voir, en militant, Nelson Mandela et Oliver Tambo à Johannesburg, qui avaient monté le premier cabinet d'avocats noirs du pays.Ils offraient immanquablement au jeune homme blanc, issu d'une famille juive de gauche, une tasse de thé "et bien davantage", dit-il avec gratitude.
Aujourd'hui, alors que le pouvoir judiciaire est régulièrement attaqué, notamment par les partisans de l'ancien président Jacob Zuma, condamné en juin à la prison ferme pour avoir vigoureusement refusé de témoigner devant une commission enquêtant sur la corruption d'Etat sous sa présidence, le vieux juge et ancien avocat affiche sa sérénité.
"La Constitution est forte", confie-t-il à l'AFP dans sa jolie maison inondée de soleil, près du Cap.Le géant frêle aux sourcils broussailleux a "travaillé tard hier soir" sur un manuscrit et revient tout juste d'un bain dans les eaux turquoise et gelées de l'Atlantique à quelques mètres.Il s'éclipse pour préparer un café.
Et reprend aussitôt le fil, défendant ce texte chéri des Sud-Africains, parce qu'il reflète "la passion pour la liberté" des fondateurs de la jeune démocratie, qui sortaient de décennies d'exil ou de prison.
- Contre-pouvoirs -
D'emblée, l'ANC avait réfléchi à se protéger d'elle-même, rappelle Albie Sachs.Trop de pays africains avaient sombré dans la corruption après leur libération.
Au lieu de prévoir un partage du pouvoir entre noirs et blancs, la Constitution s'est attelée à garantir droits et libertés pour tous, sur un pied d'égalité, et leur permettre d'interpeller le pouvoir, de lui demander des comptes.
Quand la Cour constitutionnelle a réclamé à M. Zuma, pourtant soutenu par une majorité au Parlement, de rendre des millions de deniers publics engloutis dans sa maison en pays zoulou, "je me souviens qu'un grand type noir, costaud, m'est tombé dans les bras à l'aéroport, me répétant +merci, merci, merci+", dit le juge en souriant.
"J'avais eu beau lui dire que je n'y étais pour rien, je ne siégeais plus à la cour, ce type s'en foutait, il disait son soulagement" que les institutions "fassent leur boulot" en rappelant aux politiques "qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi".
La Cour, à peine formée, avait d'ailleurs rappelé à l'ordre Mandela, qui pour faire vite pendant la transition avait utilisé des proclamations pour réformer.Elle lui avait opposé qu'il n'appartient pas au président de faire la loi.Ce qu'il avait immédiatement accepté.
"Ce jour là est aussi important" pour la démocratie sud-africaine "que celui où nous avons tous pu voter pour la première fois", dit M. Sachs.
Aujourd'hui le pays connait toujours "de flagrantes injustices, du racisme, un chômage de masse, des violences sexistes, des inégalités inacceptables, de l'insécurité", énumère le vieux militant."Mais nous sommes un pays ouvert, où les gens disent ce qu'ils pensent.Nous n'avons plus peur, nous connaissons nos droits".
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