"J'ai essayé à trois reprises de rentrer chez moi, mais les militaires qui ont pris le contrôle du village se comportent comme +ceux de la forêt+" (les miliciens), se lamente Agathe*, 62 ans."Ils nous forcent à travailler pour eux, ils nous volent la moitié de nos récoltes.Ils nous demandent de leur payer des taxes pour accéder à nos champs et quand on ne paye pas ils nous fouettent", affirme-t-elle.
Agathe, comme des milliers d'autres personnes dans les sites de déplacés à Masisi, a fui les affrontements entre les FARDC (Forces armées de République démocratique du Congo) et les groupes armés depuis le début de l'état de siège, en mai 2021.
Il y a un an, le président Félix Tshisekedi décrétait cet état d'exception et donnait les pleins pouvoirs aux militaires en espérant mettre un terme à la violence dans les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu (où se situe le territoire de Masisi).
"Nous pensions que l'état de siège mettrait fin aux +tracasseries+, mais en fait c'est bien pire", déclare à l'AFP, sous couvert d'anonymat, un responsable de la société civile, en déplorant que désormais "les exactions des militaires aient lieu à ciel ouvert et en toute impunité".
Une "note verbale" du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l'homme (BCNUDH), consultée par l'AFP, demandait au ministre de la Défense le 22 février dernier une "action urgente" contre le 3410e régiment des FARDC déployé dans le Masisi.
Ses soldats sont responsables "d'au moins 231 violations des droits de l'homme" dans cette zone entre le 6 mai 2021 et le 9 février 2022, selon l'ONU, qui regrettait dans cette correspondance "qu'aucune action n'ait été prise".
Un religieux confirme les exactions mais dit ne pas pouvoir condamner "ces petits soldats, écrasés par leurs chefs"."La population ne sera jamais en sécurité ici tant que les militaires se feront voler leurs rations par leurs commandants", déclare-t-il.
- "Secret militaire" -
Le 7 février, à Loashi (10 km de Masisi Centre), certains éléments du 3410e régiment pénètrent avec fracas dans le centre de santé à la recherche d'un milicien de l'APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain), grièvement blessé par balle à la cuisse.
"Ils ont fouillé le centre pièce par pièce, en défonçant des portes jusqu'à ce qu'ils tombent sur lui", témoigne un membre du personnel de santé.Ils l'ont traîné jusqu'au portail et là, "un soldat l'abat sur place de trois balles".
A Loashi déjà, le 30 juillet 2021, une adolescente de 14 ans avait été tuée par balle alors que des militaires ouvraient le feu sur un minibus qui refusait de se soumettre au paiement d'une taxe illégale de passage.
Plusieurs militaires ont été arrêtés.Il s'est avéré au cours du procès que l'auteur du tir mortel était un rebelle de l'APCLS.Après s'être rendu aux autorités militaires quelques mois plus tôt, ce milicien aurait été intégré sur-le-champ dans les troupes du 3410e, sans respecter la procédure régulière de démobilisation.
Le 10 décembre, 15 femmes accusées de sorcellerie ont été détenues par des hommes du même régiment dans des cellules souterraines, où "elles ont été violées par les soldats", lit-on dans un rapport du BCNUDH de décembre 2021. Les soldats ont exigé le paiement de 200 dollars pour la libération de chacune d'entre elles et leur ont refusé l'accès aux soins de santé.
Le porte-parole de l'armée dans la région, le lieutenant-colonel Guillaume Ndjike, déclare à l'AFP ne pas avoir connaissance de ces accusations contre les hommes du 3410e régiment.
"S'il faut qu'ils en répondent un jour, il n'y a pas problème.Mais pour l'instant, ils exécutent en priorité les ordres de la hiérarchie", explique-t-il.
Plusieurs sources sur place indiquent que le 3410e régiment a quitté le Masisi début avril pour des localités proches de la frontière ougandaise, sur le front contre les rebelles du M23."Je n'infirme pas cette information", répond le lieutenant-colonel Ndjike, en précisant que le motif de leur déplacement relève du "secret militaire".
Assise sur un banc, Agathe évoque ses souvenirs de jeunesse, le regard triste."Quand j'étais jeune fille, on marchait librement, il n'y avait pas de kidnapping, pas de tirs, ni de tracasseries".Elle pense aujourd'hui qu'elle ne reverra jamais la paix dans le Masisi.
*Le prénom a été changé
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