"Tout est devenu cher sur le marché", peste Honorine Kouamé, une vendeuse dans le quartier populaire Blockhaus à Abidjan."Si on peut fabriquer le pain à base de farine locale de manioc, ce sera meilleur.On est prêt à consommer local", affirme-t-elle.
Elle a déjà commencé à le faire et dans ses marmites incandescentes, cuit des galettes où elle mélange farine de blé et de coco.
En Côte d'Ivoire, un aliment sert de boussole au coût de la vie: la baguette de pain, un "produit de grande consommation", selon le ministre de l'Economie Adama Coulibaly.
Un euphémisme dans un pays de quelque 25 millions d'habitants qui compte 2.500 boulangeries et où le pain est un aliment central, toutes classes sociales confondues.
Mais la Côte d'Ivoire ne produit pas de blé et l'importe, de France principalement.Or l'offre mondiale s'est effondrée - l'Ukraine et la Russie en guerre étant deux gros producteurs - et comme ailleurs dans le monde, les prix ont bondi.
Pour éviter que cette hausse ne se répercute sur le consommateur, le gouvernement - pourtant libéral - a choisi de plafonner le prix de la baguette entre 150 et 200 francs CFA (22 et 30 centimes d'euro) selon le poids, et une subvention de 6,4 milliards de francs CFA (environ 10 millions d'euros) a été débloquée pour compenser les boulangers ivoiriens.
Mais une autre solution plus pérenne est plebiscitée par les boulangers comme par le gouvernement: introduire la farine de manioc dans la fabrication du pain.
Avec 6,4 millions de tonnes produites chaque année en Côte d'Ivoire, le manioc est la deuxième culture locale après l'igname.
- Pain aux "nouvelles saveurs" -
Reste toutefois à séduire le consommateur ivoirien.
"Le pari n'est pas gagné.Car pour l'Ivoirien, un pain au manioc est associé à un pain de mauvaise qualité.Il va falloir sensibiliser les consommateurs à ces nouvelles saveurs", estime René Diby, boulanger, et un tel changement doit être précédé "d'une campagne de sensibilisation accrue".
L'utilisation d'une petite portion de cette farine permettrait déjà de soulager quelque peu les finances de l'Etat ivoirien.
L'an dernier, 10% de son budget national de 152 milliards d'euros a été dépensé dans l'importation de denrées alimentaires, malgré des sols fertiles.
"Nous sommes favorables à cette intégration de céréales produites localement.Cela va permettre de relancer la production de manioc, de maintenir le niveau du prix du pain", estime Jean Baptiste Koffi, président de la confédération des consommateurs de Côte d'Ivoire qui veut promouvoir le "consommer local".
"Produire du pain à base de céréales locales peut être la solution pour faire face aux crises alimentaires", confirme Marius Abé Aké, président de la fédération des boulangers de Côte d'Ivoire.
Contre la hausse des prix, Ranie-Didice Bah Koné, secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre la vie chère (CNLCV, étatique), estime qu'il est temps d'exploiter le potentiel agricole de la Côte d'Ivoire.
"Il s'agit de penser à long terme, à notre sécurité alimentaire, il s'agit de penser comment la Côte d'Ivoire va faire en sorte d'être moins dépendante des cours mondiaux", estime-t-elle.
- "Boulangerie africaine" -
Lors de la visite à Abidjan d'une usine moderne de transformation de farine de manioc qui emploie une quarantaine de femmes, elle a souhaité la mise en place de mesures immédiates pour augmenter l'offre de farines locales, en complément des subventions à la filière blé.
La Côte d'Ivoire n'est pas la seule concernée: le 19 juillet, les boulangers ivoiriens se rendront à Dakar pour une rencontre régionale avec leurs voisins ouest-africains.
L'objectif est de créer une confédération de la boulangerie qui pourra promouvoir "l'incorporation des denrées locales dans la fabrication du pain à hauteur de 15%", a précisé M. Aké.
"Il nous faut faire de la boulangerie africaine, pour contribuer à baisser les coûts de fabrication, lutter contre la pauvreté et nous épargner de mouvements sociaux dommageables", poursuit-il.
Même si la situation y est moins critique que dans d'autres pays plus pauvres, la Côte d'Ivoire ne veut pas revivre les émeutes de la faim qui l'avaient secouée en 2008 alors que les prix des biens de consommation comme le riz, le lait ou la viande avaient flambé.
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