Lors des semailles en mars, les autorités lui avaient pourtant promis 75 dollars par sac de blé, un prix incitatif fixé par le gouvernement pour promouvoir la culture de la précieuse céréale.
"Cela fait plus de deux mois que le blé a été récolté, nous ne pouvons plus le stocker chez nous", regrette aujourd'hui Imad, dépité dans sa ferme d'al-Laota, dans la province d'Al-Jazira, au sud de Khartoum.
Comme des milliers d'autres agriculteurs, il a découvert --mais seulement après la récolte-- qu'il n'y avait plus d'acheteurs pour ses céréales.
Les besoins en blé, céréale la plus consommée du pays après le sorgho, sont pourtant importants et s'élèvent à 2,2 millions de tonnes par an, importés en grande majorité de Russie et d'Ukraine, selon l'ONU.
Avec la baisse des importations et la hausse des prix des matières premières, conséquences du conflit entre la Russie et l'Ukraine, l'ONU estime que d'ici septembre 18 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, pourraient connaître la faim.
La semaine dernière déjà, l'ONG Save the Children annonçait le décès lié à la faim de deux enfants dans le Darfour-Nord.
"Un signe alarmant de ce qui pourrait arriver", a commenté l'ONG dans un communiqué.
Malgré ce risque de crise alimentaire, des responsables soudanais ont récemment déclaré ne pas acheter l'intégralité des récoltes produites dans le pays.
- Caisses vides -
Les caisses de l'Etat sont vides, depuis le coup d'Etat du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhan, en octobre, et la baisse de l'aide internationale.
Le Soudan, l'un des pays les plus pauvres au monde, n'avait déjà que peu de devises après des décennies de sanctions américaines.Aujourd'hui, "il n'y a pas assez d'argent", résume un fonctionnaire de la banque agricole qui achète chaque saison la production de blé locale.
"Nous avons demandé des fonds au ministère des Finances et à la Banque centrale mais nous n'avons pas eu de réponse", souligne-t-il à l'AFP sous couvert d'anonymat.
Pour un cadre du ministère des Finances, qui lui aussi reste anonyme, "le ministère a refusé car cela l'obligerait à imprimer de l'argent, ce qui pourrait faire flamber l'inflation", déjà à 221% en avril.
Le mois dernier, des dizaines d'agriculteurs du nord du pays ont manifesté, craignant un pourrissement du blé stocké.
"Il peut se conserver en silo de 12 à 18 mois, à condition d'y maintenir une température et un degré d'humidité adéquats", affirme Abdelkarim Omar, spécialiste du stockage.Sans cela, il s'abîme en trois mois, rongé par les insectes, poursuit-il.
- Pénuries -
Selon la Banque centrale, le Soudan a importé pour 366 millions de dollars de blé entre janvier et mars.
Les Soudanais font face à de fréquentes pénuries de pain et les files d'attente devant les boulangeries s'allongent, alors que parallèlement des sacs de blé s'entassent, faute d'acheteurs, chez les agriculteurs.
Une situation absurde dénoncée par les paysans qui s'estiment lésés après avoir investi dans l'achat d'engrais, de pesticides et autres matériels nécessaires à la culture du blé.
Aujourd'hui dans la province d'Al-Jazira nombreuses sont les parcelles en jachère alors que "les agriculteurs préparent habituellement leurs terres pour la culture à cette période de l'année", regrette l'agronome Abdellatif Albouni.
Au Soudan, le prix du blé est hautement sensible et la population réagit vivement aux mouvements, comme fin 2018, quand le gouvernement Béchir a supprimé les subventions sur cette céréale.
A l'annonce du triplement du prix de cette denrée de base, la foule était descendue dans les rues de la ville d'Atbara-- à 300 kilomètres de la capitale-- pour exprimer sa colère.Une contestation qui s'était propagée dans l'ensemble du pays et avait mené à la chute du dictateur.
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