Ehya, la cinquantaine, fait partie des milliers de Maliens qui ont afflué ici ces derniers mois, fuyant la multiplication des attaques jihadistes et l'intensification des combats avec l'armée dans ce qui est communément appelé le centre du Mali, au sud de la frontière avec la Mauritanie.
Lui et sa famille ont rassemblé leurs affaires et pris la route en mai."Pendant des années, on a essayé d'être patients, de rester sur nos terres, en se disant que ça allait passer", dit Ehya, la tête enveloppée dans un long turban blanc qui tombe sur sa poitrine.
Après une nouvelle attaque jihadiste sur un campement voisin, "on a su que si on ne fuyait pas, ça serait notre tour", se rappelle-t-il.Désormais dans le centre, les hommes tuent "comme ils égorgent les poulets".
Le centre du Mali est un des foyers de la violence qui se propage sans désemparer à travers le Sahel depuis 2012 et qui a fait des milliers de morts et déplacé des millions de civils.
Une partie des déplacés va s'entasser dans les faubourgs des villes.
Pour beaucoup d'autres, en butte non seulement aux agissements des groupes affiliés à Al-Qaida ou à l'organisation Etat islamique mais aussi aux représailles inter-communautaires et aux méfaits crapuleux, le camp de Mbera, ouvert au début du conflit juste de l'autre côté de la frontière, a des airs de sanctuaire.
La Mauritanie, frappée il y a des années, a en effet su endiguer l'expansion jihadiste.
- "Hommes blancs" -
Avec plus de 78.000 réfugiés, Mbera est l'un des plus grands camps au Sahel.Il n'a jamais accueilli autant de monde.Depuis le début de l'année près de 8.000 Maliens y sont arrivés par leurs propres moyens, dit l'agence de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR)
"Depuis six mois, le camp reçoit un nombre important de personnes qui viennent des zones de Sokolo, Dogofry, de Ouagadou, de Nampala", détaille Abdoul Aziz Ag Mohamed, un membre de l'administration du camp.
D'autres viennent de la région de Tombouctou (nord du Mali).Il parle de camp "à deux vitesses", où coexistent les réfugiés de longue date, qui sont dans une "dynamique d'autonomisation", et les nouveaux arrivants "qui sont dans l'urgence".
Une grande partie des déplacés sont des nomades parcourant les brousses immenses.Même eux ont senti l'étau se resserrer dans ces étendues d'où l'Etat est absent.
Ehya, dont l'AFP tait le nom pour sa sécurité, et une dizaine de réfugiés de Mbera racontent la succession des attaques.
Ils décrivent une conflictualité accrue depuis que l'armée malienne a amplifié ses opérations dans le centre.Ils dénoncent les représailles exercées par tous les camps.Et ils rapportent la présence d'un nouvel acteur, désignant nommément la société de sécurité russe Wagner, ou plus vaguement des "hommes blancs".
"Daesh (l'organisation Etat islamique) arrive dans les campements, tue sans différence les femmes, les hommes, les enfants, repart en prenant le bétail", relate Ehya.
Mais "l'armée malienne nous accuse de soutenir les moudjahidine (les jihadistes) quand on refuse de leur dire où sont les jihadistes, et les moudjahidines nous accusent d'être avec l'Etat malien si on ne devient pas moudjahidine", dit-il.
"L'armée malienne et l'armée Wagner, les moudjahidine...on est pris entre deux feux".
- Violences sexuelles -
La jeune Seghad, 25 ans, vient d'arriver de Sokolo, à quelque 200 km de Mbera.Elle raconte avoir fui les combats et les violences commises sur les femmes.
Des hommes, des Peuls selon elle, une communauté volontiers accusée de nourrir les rangs jihadistes, "viennent, mettent un bandeau sur les yeux des femmes, les emmènent faire ce qu'ils ont à faire et les ramènent ensuite", assure-t-elle."C'est notre réalité: la réalité de la guerre entre l'armée malienne et les Wagner contre les jihadistes".
Wagner "n'opère jamais seule, ils sont toujours avec l'armée malienne", dit Ehya.A Hombori, localité non loin de laquelle son campement était installé, à plus de 1.000 km de Mbera, "ils sont venus le jour du marché et ils ont ouvert le feu sur des éleveurs qui étaient venus payer le ravitaillement de leur bétail".
L'ONU a annoncé avoir ouvert une enquête sur l'exécution sommaire présumée de nombreux civils par les soldats maliens, "qui (auraient été) accompagnés par du personnel de sécurité étranger" à Hombori le 19 avril.
Les autorités maliennes répètent constamment respecter les droits humains et ouvrir des enquêtes s'il y a lieu.
Mais Ehya insiste sur sa bonne foi: s'il témoigne, "c'est que je l'ai vu moi-même".
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