Ethiopie: en région Oromia, un autre conflit sanglant, éclipsé par le Tigré

Infos. Deux ans de guerre au Tigré ont éclipsé un autre conflit en Ethiopie: en Oromia, région la plus vaste et la plus peuplée du pays, s'entremêlent insurrection armée, tensions politiques et massacres communautaires.

Ethiopie: en région Oromia, un autre conflit sanglant, éclipsé par le Tigré
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Addis Abeba (AFP)

Cette violence est porteuse de nombreux risques, selon les analystes, la région abritant environ un tiers des 120 millions d'habitants de l'Ethiopie et enserrant la capitale Addis Abeba.

. Que se passe-t-il en Oromia ?

Depuis 2018, les forces fédérales et régionales y affrontent l'Armée de libération oromo (OLA), "ensemble assez lâche de groupes armés qui se réclament d'elle", explique à l'AFP René Lefort, chercheur indépendant sur la Corne de l'Afrique.

L'OLA a fait scission du Front de libération oromo (OLF) quand celui-ci a renoncé à la lutte armée après l'arrivée au pouvoir en 2018 du Premier ministre Abiy Ahmed.

La région est aussi le théâtre de massacres ethniques - aux auteurs pas clairement identifiés - particulièrement dans les Wollegas, zone reculée de l'extrême ouest.

"La situation est extrêmement confuse" en Oromia, traversée par de multiples lignes de fractures, selon René Lefort.

Se mêlent lutte politique entre partisans et ennemis du gouvernement fédéral d'Abiy Ahmed, litiges fonciers aux frontières de la région et animosités entre communautés, particulièrement entre Oromo et Amhara, les deux peuples les plus nombreux d'Ethiopie.

Le découpage administratif de l'Ethiopie selon des contours ethniques "exacerbe les conflits", note Thomas Osmond, anthropologue spécialiste de l'Oromia, notamment aux confins de l'Oromia, frontalière de neuf des dix autres régions du pays.

Elle abrite ainsi des terres que les Amhara considèrent comme "ancestrales" et des heurts récurrents agitent notamment la frontière avec la région Somali.

Autre source de conflit, selon Thomas Osmond: la mainmise du Parti de la Prosperité (PP) d'Abiy Ahmed, qui détient 167 des 170 sièges de l'Oromia à la chambre fédérale et 100% du Parlement régional.

Autres sources de conflit, "les inégalités foncières, le chômage, la répartition des richesses dans la région la plus riche d'Ethiopie" n'ont pas été traités par Abiy Ahmed, estime le chercheur.

"Ces lignes de fractures complexes combinées à une désinformation généralisée rendent le conflit en Oromia exceptionnellement opaque", souligne Ben Hunter, analyste Afrique au cabinet d'évaluation de risques Verisk Maplecroft.

. Pourquoi l'OLA monte en puissance ?

Ces deux dernières années, l'OLA - "organisation terroriste" selon Addis Abeba - a conquis des territoires en Oromia et parfois porté le fer en dehors, attaquant en juin la capitale régionale voisine, Gambella.

Evalués à quelques milliers d'hommes en 2018, ses effectifs ont "fort probablement substantiellement augmenté depuis 2020", estime l'Acled, ONG qui collecte les données dans les zones de conflit.

"Il y a deux ans, l'OLA était seulement dans les Wollegas" et des zones du nord-est de la région, "aujourd'hui elle est parfois présente à une soixantaine de km d'Addis Abeba", note aussi René Lefort.

Cet essor s'est notamment appuyé sur un soutien croissant de la population."Même si ce n'est pas partout avec le même degré, l'OLA est très populaire en Oromia", assure M. Lefort.

L'organisation a remplacé l'OLF comme fer de lance du nationalisme oromo.

"Le nationalisme oromo, alimenté par un ressentiment ancien" contre les gouvernements centraux d'Ethiopie, "s'est intensifié depuis 2018 parce qu'Abiy Ahmed, arrivé au pouvoir grâce à un mouvement de protestation oromo, n'a apporté aucun bénéfice substantiel à l'Oromia", sa région natale, souligne Ben Hunter.

Enfin, souligne l'Acled, "l'usage excessif de la force" par les "forces fédérales a exacerbé le mécontentement de la population" oromo au sein de laquelle la popularité d'Abiy Ahmed est "déjà faible".

. Qui massacre les civils?

Des Wollegas, zone difficile d'accès interdite aux journalistes et soumise à des black-out prolongés, parviennent régulièrement les échos de massacres de villageois, parfois par centaines, surtout de la communauté amhara.

Témoins et gouvernement éthiopien accusent l'OLA.Celle-ci dément et demande des enquêtes, pointant du doigt des milices progouvernementales.

"Rien ne prouve que l'OLA est impliquée dans ces massacres", estime Thomas Osmond qui confirme que les autorités d'Oromia ont organisé des milices.

Les défenseurs des droits humains déplorent l'absence d'enquêtes et relaient des témoignages alléguant du départ des forces de sécurité avant des massacres ou de leur lenteur à intervenir.

. Quels risques pour le pouvoir ?

Pour Ben Hunter, l'OLA "n'est pas suffisamment forte militairement" pour représenter une "menace existentielle pour le régime".

L'OLA, qui n'est pas une organisation pyramidale, "reste relativement faible en matière d'armement et surtout de structuration et de capacité de commandement", abonde René Lefort, sans voir toutefois "comment forces fédérales ou forces oromo alliées à Abyi Ahmed pourraient en venir à bout".

Pour Thomas Osmond, les conflits en Oromia, région la plus riche d'Ethiopie, "vont fragiliser le gouvernement et risquent d'alimenter une spirale de haine interethnique" et "d'accentuer la désintégration déjà en cours du pays".

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