Le vieux monsieur énergique a l'habitude.Cela fait quarante ans que Charl Francois Hugo, dit Frans, grimpe dans sa fidèle berline chaque jeudi pour ce long trajet au départ de Calvinia, moins de 3.000 âmes au milieu de cet immense far-west, dans le sud du pays.
S'il s'arrêtait, ses journaux en langue afrikaans --The Messenger, Die Noordwester et Die Oewernuus-- disparaitraient probablement avec lui.
Son petit transistor calé dans le volant, la radio de la voiture a capitulé depuis longtemps, il entame sa boucle vers le nord-est, puis le sud..."Je m'arrête dans toutes les petites villes", confie-t-il à l'AFP lors d'une récente tournée.
Départ 1h30 pour un retour 18 heures plus tard.Le temps de déposer ses piles, à l'aide de sa cane, dans une multitude de localités.Certaines ont vu l'afflux récent de nouveaux habitants, des artistes, solitaires ou originaux fuyant l'agitation des grandes villes.
Comme Frans, beaucoup ici s'expriment sans détour, avec simplicité.Vivre dans un coin aussi paumé exige autonomie, débrouillardise.Un brin d'excentricité ne saurait nuire.
"Dans le Karoo, on parle de +pompdonkie+", une pompe à eau au mouvement régulier qui vide les réservoirs."Je suis devenu moi-même un pompdonkie.Je pars chaque semaine avec la régularité d'un métronome.Je m'arrêterai quand je ne serai plus physiquement en mesure de le faire", prédit-il.
Né au Cap en 1932, il y a travaillé comme journaliste une vingtaine d'années, puis en Namibie voisine pendant dix ans."On travaillait jour et nuit.Je supportais moins bien la pression alors je me suis installé dans le Karoo", dit-il.
- Survivre au déclin -
"Je reprenais mon souffle quand le propriétaire de l'imprimerie à Calvinia est venu me demander si j'étais intéressé. Ma fille l'était alors j'ai pensé qu'avec mon gendre, ils pourraient diriger l'entreprise et que je les aiderai.Au bout de quelques mois, ils se sont lassés et je me suis retrouvé avec ça sur les bras", résume-t-il d'un clin d'œil amusé.
Le Messenger a été fondé en 1975, les deux autres journaux locaux au début des années 1900.Frans, son épouse et trois employés prolongent cet héritage au moment où tant de journaux imprimés dans le monde peinent à survivre à l'ère numérique.
Ces hebdomadaires de huit pages en afrikaans, l'une des onze langues officielles en Afrique du Sud, héritée des colons néerlandais, publient parfois, ici et là, un papier ou une publicité en anglais.
Frans, crinière blanche et allure de vieux loup de mer, s'agace de ceux qui consomment leurs informations en ligne."Nous imprimons moins de journaux".Mais à 1.300 exemplaires par semaine, le besoin d'une information locale reste d'actualité, estime-t-il.
Sa salle de rédaction ressemble à un musée avec son imprimerie ancienne de type Heidelberg et ses massicots (machines à trancher le papier appelées ici guillotines), pourtant délaissés en faveur d'ordinateurs depuis une trentaine d'années.
Un rien bravache, il dit ne pas s'inquiéter pour l'avenir de son petit groupe de presse."Aucune idée de ce qui lui arrivera dans cinq ou dix ans.Mais non, ça ne m'inquiète pas".
L'actrice Charlize Theron a fait scandale en Afrique du Sud en novembre quand elle a assuré que sa langue maternelle, l'afrikaans, n'était plus parlée que par "en gros 44 personnes".
Pour Frans, la survivance de ses chers journaux montre au contraire que les habitants isolés de ce Karoo semi-désertique ont besoin de maintenir du lien. Et tant que le journaliste en aura la force, ils recevront des nouvelles tous les jeudi, sans faute.
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