"L'année dernière, on a servi 360 repas de rupture du jeûne par jour pendant le mois de ramadan.Cette année, on ne pourra même pas en assurer 200", déclare à l'AFP la fondatrice d'une petite association caritative dans le quartier populaire d'al-Marg au Caire.
Et pourtant, note cette bonne samaritaine qui ne souhaite pas donner son nom pour des raisons de confidentialité, ces repas gratuits sont devenus vitaux.Car les prix des denrées alimentaires ont plus que doublé alors que l'inflation frôle les 33% et la dévaluation les 50%.
Pour beaucoup de familles, dit-elle, récupérer un panier ou s'attabler dans une de ces associations est devenu "l'unique option pour manger de la viande ou du poulet", deux denrées désormais hors de portée pour la majorité des Egyptiens dans un pays où les deux tiers des 105 millions d'habitants vivent sous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté.
Le ramadan est synonyme de charité en Egypte: "c'est une tradition à laquelle on tient beaucoup, la plupart des Egyptiens donnent leur aumône annuelle à ce moment-là", témoigne Manal Saleh, aujourd'hui à la tête de la Banque vestimentaire égyptienne après avoir fondé en 2004 la Banque alimentaire, l'une des plus grosses associations d'aide du pays.
La preuve?Sur les 315 millions de dollars de dons versés à des associations sur dix mois en 2021 selon les chiffres officiels, "90% ont été reçus pendant le ramadan", assure-t-elle.
Mais cette année, la guerre en Ukraine, une forte dévaluation et la flambée mondiale de l'inflation sont passées par là.
Pour Fouad, un Cairote de 64 ans qui préfère utiliser un pseudonyme, cela s'est traduit par une augmentation en flèche du nombre de familles ayant besoin d'aide pendant le ramadan.
- "Davantage de bénévoles" -
L'an dernier, la petite soupe populaire que cet ingénieur à la retraite tient avec plusieurs amis a distribué 250 repas par jour.Cette année, dit-il, il faudra cuisiner davantage "pour ne pas aider uniquement les plus démunis".
Il voit désormais passer des travailleurs journaliers ou petits employés qui, toute l'année, sautent le déjeuner et économisent ainsi "60 ou 70 livres", soit environ deux euros, "car ils savent que cette somme peut faire la différence pour leur famille".
Car en Egypte, l'un des cinq pays au monde qui risque de ne plus pouvoir rembourser sa dette, il n'y a plus de petites économies.
Selon les derniers chiffres officiels, en 2021, le salaire moyen était de 120 euros.Or, aujourd'hui, le kilogramme de viande locale la moins chère du Caire est à 6,5 euros, soit le quart d'une paye hebdomadaire.
Cette année, Fouad et ses amis sont parvenus à doubler leur budget.Mais au prix de gros efforts et surtout en sachant que cela ne permettrait pas de doubler le nombre des bénéficiaires, tout juste de le dépasser un peu.
"A deux semaines du ramadan, on a regardé les chiffres et on s'est dit qu'on devait peut-être tout annuler cette année", raconte-t-il à l'AFP.
"Mais heureusement ceux qui le pouvaient ont doublé leurs donations car ils savent à quel point c'est important pour nous de répondre présents dans des moments comme celui-ci".
Car, avant même le ramadan, les ONG racontaient déjà recevoir la classe moyenne écrasée par la flambée des prix, réclamant des chèques pour payer le loyer, l'école des enfants ou la maintenance de leur voiture.
Ceux-là, jusqu'à l'année dernière généreux donateurs, ne peuvent plus aider les plus pauvres.
Mais, veut croire Mme Saleh, "on a traversé des crises avant celle-là et les Egyptiens se sont serrés les coudes".
"Même si les gens ne peuvent plus donner autant, on va voir davantage de bénévoles, de volontaires prêts à cuisiner pour les autres, même s'ils n'ont pas d'argent à donner".
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