Présidentielle au Nigeria: dans l'ex-Biafra, l'espoir retrouvé du peuple igbo

Infos. Tout a brûlé.Le bureau de la commission électorale d'Ojoto, dans le sud-est du Nigeria, n'est plus que cendres et métal fondu.Des trous béants éventrent les murs encore debout. Le toit, lui, s'est envolé.

Présidentielle au Nigeria: dans l'ex-Biafra, l'espoir retrouvé du peuple igbo
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Awka (Nigeria) (AFP)

Début février, en pleine nuit, des hommes ont escaladé le mur, passé les barbelés avant de jeter des cocktails molotov à travers les fenêtres. Engloutie par les flammes, une bombonne de gaz a explosé, calcinant tout ce qui pouvait l'être.

Une scène fréquente dans cette région troublée par une agitation séparatiste héritée de la guerre civile du Biafra qui a fait plus d'un million de morts à la fin des années 1960. 

A l'approche de l'élection présidentielle samedi dans le pays le plus peuplé d'Afrique, les attaques contre les symboles de l'Etat se sont multipliées et des dizaines de policiers ont été tués ces derniers mois.

Traumatisés par le conflit, convaincus d'avoir été "punis" par les gouvernements successifs à travers plusieurs décennies de sous-investissements publics, beaucoup en terres igbo ne se reconnaissent pas dans le Nigeria actuel et les rêves d'autonomie perdurent.

Mais, fait inédit dans l'histoire démocratique du Nigeria, un candidat surprise originaire du sud-est a émergé durant la campagne, s'imposant comme un solide concurrent pour succéder au président Muhammadu Buhari qui quitte le pouvoir après deux mandats marqués par l'explosion de la pauvreté et de l'insécurité. 

Lors de la dernière présidentielle en 2019, très peu d'électeurs du sud-est s'étaient déplacés pour aller voter (autour de 25%). 

Avec l'ancien gouverneur d'Anambra Peter Obi parmi les favoris, une partie d'entre eux se prête enfin à rêver.

- "Le plus compétent" -

"Je voterai Obi.J'ai vu ce qu'il a fait dans notre Etat quand il était gouverneur.En plus, c'est un Igbo, comme nous", affirme ainsi Azuka Ibeka, près du marché d'Eke Awgbu.

Exaspérée par une récente pénurie de monnaie, la femme de 42 ans en tenue et chapeau bleus promet: "Je n'écouterai plus les promesses des hommes politiques, qui ne parlent qu'avec la bouche.Je voterai avec les yeux".

L'éthnie Igbo, dont est issu le candidat du Parti travailliste, un fervent chrétien de 61 ans, est majoritaire dans le sud-est et représente l'une des trois éthnies les plus importantes au Nigeria. Depuis le retour de la démocratie dans le pays en 1999, aucun Igbo n'est parvenu à être élu à la tête de l'Etat, accentuant un peu plus le sentiment de marginalisation dans la région.

"On ne vote pas pour Peter Obi juste parce qu'il est Igbo, mais parce que c'est le plus compétent.Nous voulons un meilleur pays, avec des opportunités", lance Chigozie Okoye, un styliste dans la mode âgé de 28 ans.

"Comment un homme de plus de 70 ans va nous apporter de la nouveauté?", demande-t-il."On a besoin de quelqu'un plein d'entrain et d'énergie".

Réputé pour son intégrité, l'ancien gouverneur d'Anambra (2006-2014) se pose en contre-modèle face à l'establishment vieillissant et accusé de corruption, personnifié par ses adversaires Bola Tinubu, 70 ans, du parti au pouvoir (APC), et l'ancien vice-président Atiku Abubakar, 76 ans, de l'opposition (PDP).

- Désillusion -

Dans son Etat natal, M. Obi apparaît souriant sur les affiches de campagne parsemées aussi bien dans les villes que dans les campagnes.Sa victoire n'y est pourtant pas acquise.Le sud-est est certes sa région mais c'est aussi historiquement le fief du PDP.

Les deux frères Henry, qui gagnent leur vie en déchargeant des camions, voteront justement pour "Atiku", le candidat du PDP. 

"On est fatigué, tout va mal en ce moment.Atiku était vice-président. Avec lui, tout ira mieux", veut croire Godwin, 28 ans, le cadet, torse nu avec un foulard violet autour du cou.

Sur fond d'insécurité croissante et d'agitations séparatistes, le taux de participation au scrutin reste une vraie inconnue.Depuis la semaine dernière, huit policiers ont été tués dans l'Anambra.Et mercredi, des hommes armés ont tué un candidat d'opposition (LP) au Sénat et des membres de son équipe dans l'Etat voisin d'Enugu.

Les attaques dans le sud-est sont souvent attribuées au Mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (Ipob), qui a toujours nié ces accusations.

Plus d'un demi-siècle après l'échec de la République autoproclamée du Biafra, l'Ipob continue de revendiquer la sécession et ne reconnaît pas le vote.Si le mouvement n'appelle pas au boycott du scrutin, reste à savoir quelle proportion de la population s'abstiendra par conviction ou par intimidation.

Le porte-parole de la police de l'Etat, Tochukwu Ikenga, a appelé "la population à sortir et à voter en sécurité", promettant une forte présence policière.

Et si Peter Obi, donné vainqueur par certains sondages peu fiables, venait à perdre l'élection?Outre la désillusion de la jeunesse, selon le cabinet SBM Intelligence, sa défaite alimenterait "l'ardeur" des partisans les plus radicaux de l'Ipob.

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