Mali, Burkina Faso, Niger : " Il est difficile de prédire comment ces régimes, qui ont basculé vers l'autoritarisme, vont évoluer", analyse Yvan Guichaoua

“Quels chemins prend l’Afrique ?” C’est la question que se sont posés des chercheurs à l’occasion du Forum de la paix, à Caen, qui prend fin ce vendredi 27 septembre. Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité était l'un des participants. Il a répondu aux questions d'Africa Radio.

Yvan Guichaoua, vous êtes enseignant-chercheur, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité

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17h18 par Keisha MOUGANI

Titre :Écoutez Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité

Écoutez Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité

Vous allez intervenir lors de la conférence “Quels chemins prend l’Afrique ?” qui  se focalise surtout sur les nouveaux partenariats qui se nouent sur le continent africain notamment au Mali, Burkina et Niger, qui ont développé des partenariats avec la Turquie la Russie, etc.  Mais pour vous, quels chemins prend l’Afrique ? 


Plusieurs aspects m'intéressent : d'abord, la question des conflits. Quelles violences se déroulent actuellement sur le continent, qui en sont les auteurs, et au nom de quelle idéologie ? Quels sont les groupes armés en présence, et quelle est la réponse des États ? C'est l'aspect strictement lié à la violence.


Il y a une autre question qui est très proche finalement de la première, qui est celle aussi des effets de cette violence sur les transformations politiques, les transformations du paysage politique.


Et quand on parle de l'interférence des puissances étrangères sur le continent africain, vous avez mentionné la Russie, la Turquie, la Chine, je me focalise plutôt sur la Russie parce que c'est le pays qui est actuellement le plus influent au Sahel.


Quand on s'intéresse à ces interférences étrangères, on voit des effets sur les violences et sur les régimes politiques, sur le paysage politique. C'est-à-dire qu'on voit émerger des nouveaux régimes qui font suite à des régimes que l'on pouvait appeler démocratiques. 


Le Mali, le Burkina et le Niger ont créé l'AES et ils se sont aussi écartés de la CEDAO. Est-ce que le fait de se séparer de la CEDAO et de se tourner vers la Russie, vers des puissances étrangères ne va pas détériorer les relations entre les pays africains ?


Ce qui est intéressant avec l'AES, c'est qu'effectivement, les trois pays que vous avez mentionnés ont décidé un petit peu de se serrer les coudes entre eux et de former une confédération. Eux appellent ça une confédération des peuples souverains, mais on pourrait aussi considérer que c'est devenu une sorte de club de dictateurs militaires.


Ces trois pays-là ont en commun d'être dirigés par des juntes militaires. Ils estiment que leurs voisins qui sont restés dans la CEDAO sont inféodés aux puissances occidentales et donc sont des marionnettes des expuissances coloniales. Et donc ça ne peut pas marcher avec leur aspiration souverainiste.


Et donc, à l'échelle de l'Afrique de l'Ouest, on a effectivement une sorte de clivage qui s'est créé entre d'une part, ces trois pays qui forment dorénavant l' Alliance des États du Sahel et les pays qui sont restés au sein de la CEDAO.


Et ça provoque des tensions à des échelles bilatérales. En ce moment, il y a une énorme tension entre le Burkina et la Côte d'Ivoire. Il y a toujours des tensions entre le Niger et le Bénin.


Si on remonte plus au nord, entre le Mali et l'Algérie, entre le Mali et la Côte d'Ivoire, il y a quelques temps, ça s'est un petit peu apaisé, mais il y a eu cette fameuse affaire des 49 militaires ivoiriens qui ont été retenus au Mali (en janvier 2023, ndlr), qui étaient accusés de fomenter un coup d'État sur le sol malien.


Mais après, il y a un autre modèle ou une autre direction qui peut être prise, qui est celle de l'apaisement diplomatique.


On a un pays comme le Sénégal, qui a trouvé une voie médiane entre une alliance géopolitique avec l'Occident et une rupture similaire à celle des États de l'AES, puisqu'on a aujourd'hui au pouvoir au Sénégal, quelqu'un qui a fait campagne sur un agenda, disons, souverainiste, mais qui n'a pas forcément pris le pouvoir par les armes non plus.


Il a obtenu par les urnes un accès au pouvoir sur la base d'un discours d'éloignement finalement, vis-à-vis des puissances occidentales. Il est un petit peu la troisième voie potentielle à l'intérieur de la CEDEAO.