"Il n'y a pas suffisamment de salons qui traitent le cheveu afro" : des coiffeuses en mission pour mettre fin aux complexes

En 2021, le Conseil représentatif des associations noires pointait le manque d'inclusivité des salons de coiffure. Sur les 100 000 salons présents dans l'Hexagone, 200 salons étaient spécialisés ou aptes à s'occuper des cheveux afro. Dans ce microcosme qui tend à s'agrandir, les établissements se sont donnés pour mission d'apprendre à leur clientèle à aimer leurs cheveux et en prendre soin. Reportage.

Émilie, coiffeuse, Karine, Aïssata Dramé, coiffeuse et Daba Diokhané, fondatrice de Dioka

20 août 2024 à 18h04 par Keisha MOUGANI

“Même si j’habite dans le 78, je viens quand même dans cet institut. Je trouve qu'il n'y a pas suffisamment de salons qui traitent le cheveu afro”, explique Awa Ndiaye, une professeure de mathématiques de 41 ans. Depuis un an, elle emmène sa fille de 9 ans jusqu’au Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis, à l’institut Fanta Diallo, exclusivement dédié au soin des cheveux afro. "Avant, je la tressais ou je l’emmenais chez le coiffeur, mais ça faisait tomber ses cheveux. Donc, on lui a coupé les cheveux, deux fois, mais elle n’a pas aimé, ses camarades se moquaient d’elle à l’école”, raconte Awa. 


Avant de prendre la décision de l’emmener en institut, la mère dit avoir commandé et testé une multitude produits “naturels”, assure-t-elle, pour faire pousser les cheveux de sa fille, mais elle remarque “que la pousse est inégale et que les produits ne fonctionnent pas sur elle”


Elle décide d’investir 130 euros par mois dans une routine capillaire proposée par l’institut. “C’est un budget, mais c’est pour ma fille. Ce matin, elle était contente de voir qu’elle pouvait se faire un chignon”, s’exclame-t-elle. “C’est bien d’avoir ce genre d’endroits. Ça nous permet de savoir comment prendre soin de nos cheveux et de les accepter.” 


Contrairement à sa fille, elle n’a pas fréquenté ces salons ou utiliser des produits naturels dans sa jeunesse. “On ne m’a rien transmis. À la maison, on me défrisait les cheveux”. Elle continuera de le faire jusqu’à l’âge adulte, jusqu'en 2012 où elle décidera d'arrêter après avoir regardé des vidéos montrant les effets négatifs du défrisage.


À présent, elle s’occupe elle-même de ses cheveux. “Je fais un shampoing vite fait et je mets de l’huile de coco”, explique-t-elle. Mais elle apprend encore à les apprivoiser.“J’ai du mal avec mes cheveux, je les trouve trop durs, donc je les tresse tout le temps. Là, c'est exceptionnel que je les laisse au naturel “, détaille-t-elle. Pour l’occasion, elle s’est faite deux nattes collées. 


Des professionnelles qui ont eu le même vécu que leurs clientes


Derrière la plupart de ces salons et instituts se trouvent des professionnelles ou des autodidactes, qui se sont inspirées de leurs expériences personnelles.  


“Avant, je ne faisais pas attention à la composition des produits et je me défrisais les cheveux”, se rappelle Anna Mendy, propriétaire du salon Colorful Black, à Paris. Un voyage au Royaume-Uni lui permettra de découvrir des produits d'une meilleure qualité que ceux proposés en France.


Alors qu’elle vendait à l’époque des produits défrisants, elle découvre aussi les effets du défrisage dans un reportage. Elle décide de les retirer de sa boutique. “Je ne voulais pas participer à ça”, souligne-t-elle. 


Dans son salon, elle vend et travaille uniquement avec des produits naturels américains et français. Et les étapes du  lissage et le défrisage proposés dans certains salons, dont afro,  pour rendre les cheveux plus malléables sont remplacés par le diagnostic capillaire, bain d’huile, massage, ou un départ à zéro avec rasage de tête ou découpe des cheveux, suivies de routines s’étalant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. 


“Notre cheveu n’a pas besoin d’être lissé, souligne-t-elle. On a voulu faire passer nos cheveux pour quelque chose de pas beau, de difficile à coiffer”. 


Anna Mendy, propriétaire de Colorful Black                     


Apprendre à se réconcilier avec ses cheveux 


“Quand on passe au 100 % naturel, il faut être prête”, rétorque Fanta Diallo, fondatrice de l'institut éponyme. Notamment sur le plan psychologique. 


La femme de 35 ans se rappelle que sa transition capillaire a été difficile. Complexée par ses cheveux “très fins, cassants, avec des trous et des mycoses”, elle les camouflait sous des tresses et des perruques.


 C’est en 2013, qu’elle décide de laisser ses cheveux au naturel et décide de se rendre dans un institut dédié aux cheveux afro. “Ne pas porter de perruque a été psychologiquement difficile. J’ai arrêté les soins et un an plus tard j’ai rasé une nouvelle fois mes cheveux, repris les soins et j’ai remis des perruques”, explique-t-elle.


Dans son salon, elle essaye d’apprendre à ses clientes à lâcher prise et à se libérer de certains diktats, comme s’interdire de porter des perruques. “Faisons ce que nous voulons, mais sauvegardons la santé de nos cheveux”, souligne-t-elle. 


"Il y a encore des complexes"


Le mouvement nappy, né aux États-Unis dans les années 2000 a permis à certaines femmes et certains hommes d’accepter leurs cheveux et surtout d’accroître les informations sur l’entretien des cheveux afro. Cependant, une fois que les clients et clientes décident de laisser leur cheveu au naturel, d’autres barrières autres que le lissage et le défrisage empêchant d'apprécier son cheveu tel qu'il est, se présentent, comme la recherche de la longueur.  


“Il y a encore des complexes et des comparaisons aux afro-américaines qui n'hésitent pas à mettre des produits chimiques. On n’a pas les mêmes critères, le même bagage génétique. Elles veulent plus de volume, plus de longueur et de la définition. Ce n’est pas un amour sain”, souligne Aïssata Dramé, formatrice et propriétaire de son salon à Palaiseau (Essonne). 


 Elle pointe d’ailleurs les dérives marketing, notamment autour des produits faisant la promotion de la pousse des cheveux. “On peut très bien avoir un cheveu crépu qui est court, fin, magnifique et en bonne santé”, défend-t-elle. 


Une réflexion que partage Anna Mendy. “Si une huile faisait pousser les cheveux alors on aurait toutes les cheveux de Raiponce”, ironise-t-elle. La coiffeuse a décidé de réduire leur présence dans sa boutique. 


Aider à démêler le vrai du faux concernant l'entretien des cheveux


 Pour avoir des cheveux en bonne santé, Anna Mendy insiste sur l’importance d’avoir une bonne routine. Cela commence par  laver ses cheveux une fois par semaine, pour bien nettoyer son cuir chevelu. Cela permet d’éviter l’accumulation de corps gras et de saletés, à l’origine des alopécies et des calvities. 


“Je reçois des clientes avec des alopécies et les cheveux en ruine qui ne se lavent les cheveux que quand ça les démange.", détaille Anna Mendy.


"Ensuite, il faut faire des soins profonds, ça renforce et ça apporte au cheveu ce qui lui manque, après, on se coiffe avec le  bon leave-in et la bonne crème qui va maintenir le cheveu en bonne santé. Pour les produits, ça ne sert à rien d’en avoir 10 000”, ajoute Aïssata Dramé. 


 “Cela représente 5 à 10 % de la routine, ajoute Anna Mendy. Tout le reste repose sur une bonne hygiène de vie, notamment la pratique d’une activité sportive. Tout est intérieur.


Des salons et instituts plus nombreux ? 


En 2020, Daba Diokhané a décidé de créer le label Dioka, pour rendre visible certains salons et instituts habilités à s’occuper des cheveux afro.Au départ, l'idée était de partager les meilleurs salons de coiffure dans toute la France", explique-t-elle.


En 2023, elle décide d’aller plus loin et de créer sa propre formation, pour qu’il y ait davantage de salons plus inclusifs. “Sur les réseaux, beaucoup d'abonnées partageaient leurs problématiques et étaient désespérées de trouver des salons qui peuvent leur apprendre à s’occuper de leur cheveux et il y a très peu de salons qui en sont capables, explique-t-elle. J'avais deux options : soit je passais le CAP et j’ouvrais ma propre adresse, soit je formais ceux qui étaient déjà en place.”  


Si davantage de coiffeurs veulent suivre sa formation, elle reste quand même prudente quant aux intentions de certains. Pour elle,il ne s’agit pas que d’apprendre des techniques de coupe, ou l’application de soins, il s’agit de comprendre la psychologie de la clientèle”, souligne-t-elle. 


En France, la coupe et le coiffage des cheveux bouclés, frisés ou crépus  ne figure pas dans les programmes de préparation au BEP et CAP Coiffure. Si des formations privées, comme celles de Daba existent, il faut attendre 2023 pour qu’une formation certifiante  reconnue par l’État voit le jour. Mais pour la suivre, il faut justifier de deux ans d’expérience si on est titulaire d’un CAP et de quatre ans d’expérience si l’on est titulaire d’un BEP. Et elle est seulement dispensée dans cinq établissements en France. 


Pour Anna Mendy, Fanta Diallo et Aïssata Dramé, il est nécessaire que les marques, chercheurs et professionnels fassent davantage de recherches pour comprendre et saisir les problématiques des cheveux afro.  “Il n’y a pas de recherches approfondies sur nos cheveux”, regrette Fanta Diallo. Elle a donc décidé de les poursuivre elle-même notamment pour confectionner ses produits. Pour embellir les cheveux crépus, les marques vont  tout de suite proposer des produits gras, comme la chantilly de karité, des crèmes contenant plus de corps gras que d’eau, analyse Anna Mendy. Notre cheveu a besoin d’hydratation et c'est ce que les marques américaines ont compris. Elles ont toutes des bases hydratantes.” 


Aïssata Dramé remarque de son côté qu'il y a encore trop de focalisation sur la forme du cheveu plutôt que sur les problématiques. “Quand je compare à la cosmétique, une peau c’est une peau. On va regarder si elle est grasse, mixte, etc.


Elle ajoute également que les dénominations “cheveux spécifiques” ou “cheveux texturés’, qui servent à englober les cheveux bouclés, frisés et crépus contribuent également à différencier les autres cheveux, des cheveux raides. "Un cheveu, c’est un cheveu, peu importe la forme", conclut-elle.