Depuis les étages des hôtels de luxe et immeubles de bureaux flambant neufs qui les entourent, les quelques maisons de tôle et de torchis encore debout, au milieu d'un champ de décombres, font figure de petit village assiégé.
"Ils sont venus de nombreuses fois pour nous forcer à partir.�?a ne me plaît pas, mais je vais être obligée de déménager", peste Getnesh Amare, en étendant son linge au milieu des débris des maisons de ses voisins, tous déjà partis, où des ferrailleurs de tout poil s'activent à récupérer ce qu'ils pourront revendre.
Le chantier, tout près du siège de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, est emblématique de la volonté des autorités éthiopiennes d'en finir avec les taudis.Ce quartier de Kazanches au c�?ur d'Addis Abeba, jadis connu pour ses bars louches et ses prostituées, doit devenir le centre d'affaires de la capitale éthiopienne.
D'un côté de la rue, des cafés branchés et des pâtisseries fines ont fait leur apparition.De l'autre, des habitants comme Getnesh s'accrochent encore à la vie sociale de leur quartier, misérable mais solidaire, et à leur "chika bet", ces maisons de fortune pour lesquelles la municipalité prélève un loyer dérisoire (rarement plus de 20 birr, soit 0,82 euro).
Cette femme de ménage, mère de quatre enfants, s'est vu promettre un trois-pièces dans un "condominium", la version éthiopienne des habitats HLM.Mais la perspective de vivre dans l'un de ces grands ensembles qui poussent comme des champignons à la périphérie d'Addis Abeba ne lui plaît guère.
"Ce n'est pas très confortable.Il n'y a de l'eau que deux fois par semaine et c'est au 4e étage", explique-t-elle.Et puis cet appartement est à plus d'une heure de trajet, loin du centre-ville.
- Un changement de vie ? -
Le "condo" est devenu un symbole de développement et les autorités éthiopiennes y voient un moyen de débarrasser le centre-ville de ses miséreux, de créer des emplois et de loger les plus de 3 millions d'habitants d'Addis Abeba qui s'entassent encore à 80% dans des chika bet.
"Je ne suis pas sûr qu'on puisse appeler cela des maisons.Il n'y a pas de toilettes, pas d'accès à l'eau courante, pas d'évacuation d'égouts (...) Dans les condos, la vie des gens est complètement changée", se félicite Haregot Alemu, le directeur de l'Agence du renouveau urbain et du développement des terres, chargée de superviser la construction des condominiums.
Pour les autorités, dont l'objectif affiché est de hisser l'Ethiopie au rang des pays à revenu intermédiaire d'ici 2025 - soit un revenu national brut (RNB) par habitant supérieur à 1.000 dollars �?? le condo doit aussi permettre de créer une classe moyenne de propriétaires, moins enclins à la contestation anti-gouvernementale qui agite depuis un an les ethnies Oromo et Ahmara.
"L'objectif est aussi d'encourager les citoyens d'Addis à prendre l'habitude d'épargner pour pouvoir acheter leur maison", ajoute Haregot Alemu.
A Jamo, l'une de ces villes nouvelles en banlieue d'Addis, les barres d'immeubles se succèdent les unes aux autres.Henok Kasahun, 27 ans, a quitté sans regret son quartier de Mexico Square, près du centre, pour vivre avec ses parents dans un appartement avec une chambre.
"Il y a des toilettes et une cuisine.On peut facilement avoir accès à l'eau et l'électricité.Dans notre ancienne maison, nous n'avions pas tout ça", explique-t-il.
L'objectif est de parvenir à construire 700.000 logements d'ici cinq ans.La demande est forte.Les autorités ont mis en place un système de loterie pour laquelle 750.000 personnes ont inscrit leur nom.
- 'Au-dessus de nos moyens' -
Mais la modernité a un prix.Le plan gouvernemental est un programme subventionné d'accession à la propriété et non pas de logements sociaux à loyers modérés.
Pour acquérir un "condo", les futurs propriétaires doivent débourser au moins 10% du prix de l'appartement, entre 100.000 et 500.000 birr (4.000 - 20.000 euros).Dans un pays où le salaire mensuel est souvent inférieur à 100 dollars, les remboursements peuvent vite devenir inabordables.
Topiyo Eshetu, sans emploi, a été l'une des premières à emménager, contrainte et forcée, dans un petit appartement de 36 m2 au rez-de-chaussée d'un immeuble de quatre étages construit il y a six ans.Les promesses de confort ne se sont pas concrétisées.Les murs sont déjà fatigués.L'eau et l'électricité vont et viennent au rythme des coupures et la place manque pour ses trois enfants.
Surtout, la famille peine à rembourser les 700 birr mensuels (29 euros) pour payer l'appartement.
"Avant, nous vivions dans une petite maison dans la mesure de nos revenus.Cela nous suffisait.Ici, nous vivons au dessus de nos moyens", regrette-t-elle.
La municipalité leur avait donné un mois pour déguerpir de leur logement sur Meskel Square, la place centrale d'Addis Abeba, et débourser l'acompte de 16.000 birr (660 euros).
"J'ai emprunté auprès de tous nos proches et amis", dit Topiyo."Pour ceux qui peuvent se le permettre, on peut avoir une bonne vie ici, avec des commodités, mais pour les gens qui ont peu de revenus, c'est difficile", ajoute-t-elle.
Pour Haregot Alemu, ce développement à marche forcée est nécessaire pour "changer l'image d'Addis Abeba".
"En tant que siège de l'Union africaine, notre vision est de créer une ville moderne et un modèle sur le continent", dit-il.
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