La grande mobilisation des réseaux sociaux après l'arrestation au Maroc d'adolescents ayant posté des photos d'un baiser entre deux d'entre eux a bousculé une société très marquée par le conservatisme religieux, selon les experts.
La fille et le garçon incriminés, âgés de 14 et 15 ans, ainsi que leur ami auteur des clichés avaient été arrêtés le 4 octobre et détenus pendant trois jours dans un centre pour mineurs à Nador, dans le nord-est du royaume.
Leur arrestation avait immédiatement enflammé les réseaux sociaux et les autorités judiciaires de Nador ont dû libérer les trois adolescents, dans l'attente de leur procès censé, qui s'est ouvert ce vendredi et a immédiatement été ajourné au 22 novembre.
"Les réseaux sociaux jouent de plus en plus un rôle de veille à la fois auprès des autorités et auprès de la société marocaine qui reste conservatrice", estime le politologue Mohammed Madani.
Selon lui, "les gens qui agissent via Facebook sont très actifs puisqu'ils parviennent parfois à intéresser les médias, notamment étrangers, et à bousculer le conservatisme aussi bien de la société que de celui de l'Etat".
"Résultat, poursuit M. Madani, les autorités reviennent sur des décisions de justice et se remettent parfois en cause comme c'était le cas du pédophile espagnol" gracié par erreur par le roi Mohammed VI en juillet.
Devant l'ampleur du scandale suscité par sa libération, le roi avait annulé la grâce, le Palais royal assurant alors que le souverain ignorait tout des "crimes abjects" commis par Daniel Galvan au moment de sa grâce.
Quelque 55 personnes sur 100 se connectent à l'internet au Maroc, selon un rapport de l'ONG américaine Freedom House en date du 3 octobre, l'un des chiffres les plus importants de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.
Organiser des 'kiss-in'
A la veille du procès, des centaines d'internautes marocains se sont mobilisés à nouveau pour demander l'abandon des poursuites contre les trois adolescents.
Des pages ont été créées sur Facebook pour appeler à organiser des "kiss-in" dans les grandes villes, notamment samedi devant le siège du Parlement à Rabat.
Les adolescents, qui seront jugés pour "atteinte à la pudeur", ont été remis le 7 octobre à leurs parents après leur liberté provisoire.
Ils avaient été arrêtés à la suite d'une plainte déposée fin septembre par une organisation locale pour "atteinte grave à l'éducation et à la culture marocaines" et "atteinte aux sentiments des citoyens".Les photos du baiser avaient été prises devant leur collège à Nador.
"Ils sont poursuivis en vertu de l'article 484 relatif à l'atteinte à la pudeur publique commise par un mineur", a déclaré jeudi à l'AFP Monaim Fattahi, leur avocat.
Le Maroc a une réputation de tolérance religieuse au sein du monde arabo-musulman, mais la société y demeure profondément conservatrice.
Le code pénal punit de deux à cinq ans de prison "tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur la personne d'un mineur de moins de 18 ans".
'L'effet internet'
Selon les défenseurs des libertés individuelles, pour la plupart des laïcs actifs sur les réseaux sociaux, la société est tiraillée entre le conservatisme religieux et le poids croissant des moyens de communication "véhiculés par internet".
"A cause du poids de la religion et des tabous sociaux, la société marocaine semble perdue et tiraillée.Elle a du mal à embrasser un monde moderne trop marqué par internet et une communication planétaire", souligne la militante Ibtissam Lachgar.
"C'est toujours la question des libertés individuelles qui est posée avec cette affaire.La société marocaine est comme bousculée par l'effet internet", poursuit Mme Lachgar, co-fondatrice avec Zineb El Rhazoui du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali).
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