"Boko Haram", une fiction ghanéo-nigériane controversée

Infos. ...

Accra (AFP)

Des villageois sans défense abattus froidement, des enfants massacrés par des insurgés islamistes...Il ne s'agit pas d'un extrait du journal télévisé nigérian, mais d'une fiction dans le collimateur des censeurs ghanéens.

Le film "Boko Haram" du réalisateur ghanéo-nigérian Pascal Amanfo est largement inspiré des attaques sanglantes du groupe extrémiste éponyme dans le nord du Nigeria.

Le scénario du film, dans lequel un islamiste prépare un attentat-suicide à Lagos, la plus grande ville du pays, est violent et volontairement provocateur, du propre aveu du réalisateur.

L'idée n'a pas plu aux autorités ghanéennes, qui ont décidé de l'interdire, alors qu'au Nigeria voisin, où il est sorti sous le nom "Une nation assiégée", les cinémas se sont montrés réticents à le projeter.

Les DVD du film se sont vendus comme des petits pains sur les trottoirs d'Accra, après sa sortie en mars dernier.

Mais sous l'ordre des autorités ghanéennes, ils ont été retirés du marché, les affiches déchirées, la police saisissant les stocks des vendeurs à une gare routière de la capitale. 

Le distributeur du film a même été arrêté avant d'être libéré contre une amende de 2.000 cedi (680 euros). 

"Nous n'allons pas laisser un film appelé Boko Haram sortir au Ghana.(...) Nous devons être prudents pour ne pas nous attirer l'hostilité du pays voisin", a expliqué Ken Addy, du comité de contrôle du cinéma ghanéen.

Boko Haram revendique la création d'un Etat islamique dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman, au contraire du sud, majoritairement chrétien.

Les attaques du groupe extrémiste et leur répression sanglante ont fait au moins 3.600 morts depuis 2009, selon l'ONG Human Rights Watch.

Au Nigeria, le gérant d'un cinéma d'Abuja a déclaré ne pas envisager de montrer ce film dans la ville qui a été la cible d'une attaque islamiste contre les locaux des Nations Unies, faisant au moins 25 morts en 2011.

Pour le cinéaste, si son film a soulevé autant de réticences, c'est parce qu'il aborde certains sujets tabous, notamment le supposé soutien qu'apporteraient des hommes politiques nigérians de haut-rang à la secte islamiste, une théorie très populaire mais jamais prouvée.

A un moment du film, un extrémiste parle d'une cache à Lagos financée par un parlementaire sympatisant de Boko Haram.

Le président nigérian Goodluck Jonathan a déclaré l'an dernier que Boko Haram comptait des soutiens dans son gouvernement, avant de revenir sur ses propos.Aucun politicien nigérian n'a jamais été officiellement lié au groupe islamiste.

Selon Mustapha Adams, à la tête de l'association des distributeurs de film ghanéens, certains ont craint que le film n'entraîne de l'empathie pour Boko Haram, voire qu'il ait été en partie financé par des sympathisants des extrémistes. 

Mais pour lui, la réaction des autorités ghanéennes a été excessive.Le plus important à ses yeux est de ne pas freiner l'expression artistique, au Ghana comme au Nigeria, deux pays où le secteur culturel est en pleine expansion.

Nollywood, la prolifique industrie cinématographique nigériane, est la troisième plus importante au monde: des centaines de fictions y sont produites à bas coût chaque année.On y parle de sorcellerie ou de miracles divins, avec, souvent, une bonne dose de sous-entendus sexuels et quelques scènes de crimes pour pimenter le tout.

Ghollywood, sa petite soeur ghanénne, s'applique, avec un rendement bien moindre, à imiter les recettes de Nollywood, dont les films sont populaires sur l'ensemble du continent.

Certains réalisateurs de la région aimeraient cependant diversifier les thèmes et s'éloigner du surnaturel pour aborder des problématiques plus contemporaines telles que l'islamisme et la corruption de la classe politique.

Le film "Boko Haram", où un kamikaze change de vie après une conversation avec une prostituée,  n'est sans doute pas un modèle de réalisme.Mais, défend M. Amanfo, il a le mérite de soulever de vrais problèmes d'actualité.

"Si on ne peut pas raconter notre propre société, alors, en tant qu'artistes, on a échoué", regrette-t-il.

 

Newsletter

Restez informé ! Recevez des alertes pour être au courant de toutes les dernières actualités.
Réagir à cet article

L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.

En direct
Les rendez-vous santé
Nos applications
Facebook
Twitter
Instagram
"Boko Haram", une fiction ghanéo-nigériane controversée