"Décale-toi un peu, là, tu vois rien !", souffle un militaire français à un soldat allongé le nez dans l'herbe.Cela fait seulement deux mois que les nouvelles recrues des Forces armées centrafricaines (Faca) ont entamé leur formation avec la mission d'entraînement de l'Union européenne (EUTM) à Bouar, dans l'ouest de la Centrafrique.
Evidemment, tout n'est pas encore au point."Mais on les sent motivés, il y a beaucoup de progrès", se réjouit le colonel Bruno, un Français qui commande la branche entraînement de l'EUTM, d'une voix posée qu'entrecoupent le son des rafales des kalachnikov AK47 en provenance du champ de tir tout proche.
Formateurs français et recrues centrafricaines sont ici en terrain connu: le camp Leclerc de Bouar était une base militaire française jusqu'en 1996.Depuis sa rétrocession à l'Etat centrafricain, le pays a connu deux guerres civiles et une succession de violences dont témoignent encore des ruines envahies par la végétation et des murs criblés d'impacts.
Mais après des années d'abandon et la signature d'un accord de paix entre le gouvernement et 14 groupes rebelles le 6 février dernier, le camp Leclerc et les Faca amorcent leur renaissance.
Au bord de la place d'armes, les ruines ont laissé place à des casernes flambant neuves et à une armurerie bâtie aux normes internationales, prérequis indispensable à l'assouplissement de l'embargo sur les armes imposé au pays, voté jeudi par l'ONU.Fin juin, un premier détachement de 508 recrues a pris ses quartiers au camp Leclerc pour entamer sa formation avec l'EUTM.
- 70% aux mains des rebelles -
Au total, l'Union européenne a investi 15 millions d'euros pour le retour de l'armée centrafricaine à Bouar: la ville doit accueillir la première véritable base militaire permanente des Faca hors de la capitale, Bangui, depuis le début, en 2013, de la guerre civile qui ravage le pays.Un symbole du rétablissement de l'autorité de l'Etat dans un vaste pays toujours contrôlé à 70% par les groupes rebelles.
"Bouar doit servir d'exemple" explique le capitaine Bétibangui, commandant du centre de formation, dans son bureau fraîchement repeint, au mur orné de deux sagaies entrecroisées.Toutefois, il faudra plus qu'un ravalement de façade pour que l'armée centrafricaine se substitue aux Casques bleus de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), censée stabiliser le pays et protéger ses populations depuis 2015.
Longtemps minées par les divisions, la mauvaise gestion et le népotisme, les Faca sont plus célèbres pour leurs retentissantes débâcles que pour leurs succès militaires.En 2013, une coalition de groupes armés promusulmans avait fondu sur Bangui pour renverser le régime du président François Bozizé sans que les Faca n'opposent de véritable résistance.
Aujourd'hui, la nouvelle armée se veut à l'image d'un pays qui tente de réconcilier ses communautés : "Ici, nous avons des chrétiens, des musulmans qui sont tous des frères d'armes et qui vivent ensemble", s'enorgueillit le capitaine Bétibangui.
- Un salaire régulier -
Officiellement, plus questions de dissensions.Dans la section du lieutenant Stéphane, tout le monde porte le même treillis, modèle français.Et à l'instar de Bokpo, jeune recrue de 19 ans qui figure parmi les 13% de femmes engagées dans les Faca, tout le monde tient à peu près le même discours : "Je me suis engagée pour défendre mon pays".
"L'armée, c'est une vocation", rappelle à la troupe le lieutenant Stéphane, un officier centrafricain aguerri qui arbore fièrement l'insigne des commandos à la poitrine.
Dans un pays classé parmi les plus pauvres au monde où les Faca représentent l'une des rares opportunités de salaire régulier pour les jeunes peu qualifiés, la fibre militaire fait parfois défaut chez les engagés.Un phénomène longtemps aggravé par un processus de recrutement opaque, entaché d'accusations de favoritisme ethnique et familial, et sur lequel la Minusca opère un contrôle relatif depuis 2019.
Alors, le lieutenant se veut optimiste, et croit en ses nouvelles recrues."Si je retrouve l'un d'eux dans un groupe armé, je serai vraiment déçu", confie-t-il.Une manière de rappeler l'ampleur du chantier qui attend l'armée centrafricaine, toujours sous-financée et privée de matériel lourd par l'embargo international.
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