Le Sénat burundais a saisi la Cour constitutionnelle sur la légalité d'un éventuel troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, une démarche rejetée par l'opposition qui juge la haute juridiction trop proche du pouvoir contesté par la rue.
Les autorités, qui tentent d'enrayer les protestations contre cet éventuel mandat de M. Nkurunziza, ont partiellement coupé mercredi l'accès aux réseaux sociaux à Bujumbura.
Et le procureur général a annoncé la création d'une commission chargée de traduire "immédiatement" en justice les responsables des manifestations lancées dimanche, au lendemain de la désignation du chef de l'Etat comme le candidat de son parti, le Cndd-FDD, à la présidentielle du 26 mai.
Alors que les violences ont fait cinq morts depuis lors, des face-à-face tendus se sont poursuivis mercredi dans la rue entre manifestants et policiers.
L'armée s'est interposée une bonne partie de la journée pour faire baisser la pression, notamment dans le quartier de Musaga, dans le sud de la capitale.
Cela n'a pas empêché de nouveaux heurts en fin d'après-midi: des manifestants ont jeté des pierres, et la police a répondu par des tirs de grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes.
A la demande de l'Agence de régulation et de contrôle des télécoms (ARCT), les opérateurs téléphoniques ont bloqué l'accès, sur les téléphones mobiles, à Twitter, Facebook et WhatsApp, qui restaient accessibles sur l'internet fixe via certains fournisseurs.
Le gouvernement avait déjà coupé la très populaire radio indépendante RPA, accusée de relayer les appels à descendre dans la rue.
Des centaines de personnes ont aussi été arrêtées, dont une figure de la société civile, Pierre Claver Mbonimpa, ensuite libéré.Un mandat d'arrêt contre le principal organisateur du mouvement anti-troisième mandat, Vital Nshimirimana, a été lancé.
La Cour constitutionnelle aura à interpréter les articles de la Loi fondamentale burundaise au coeur de la controverse sur le troisième mandat.
Cette saisine était attendue: pour faire taire l'opposition et la société civile qui réclamaient depuis des mois que M. Nkurunziza renonce à se présenter, le gouvernement ne cessait de répéter qu'il reviendrait à cette juridiction de trancher la légalité de la candidature.
Opposition et société civile sont pour le moins sceptiques sur le processus.
"C'est comme si le Sénat avait demandé à Nkurunziza lui-même d'interpréter la Constitution", a réagi Jean Minani, président du parti d'opposition Frodebu Nnyakuri.
La société civile n'acceptera pas la cour comme "arbitre", a renchéri M. Mbonimpa, un défenseur des droits de l'Homme réputé dans le pays.
Ce sont "des sénateurs du parti Cndd-FDD qui ont demandé la saisine de la cour", elle-même "composée d'enfants chéris de Pierre Nkurunziza qui n'ont rien à lui refuser", a-t-il affirmé.
"Nous continuons à soutenir les manifestations", a-t-il annoncé, appelant le pouvoir à accepter de dialoguer pour "parvenir à un compromis" avec l'opposition.
- Fermeture des restau-U -
Société civile et opposition qualifient d'inconstitutionnelle une nouvelle candidature de M. Nkurunziza, élu une première fois par le Parlement en 2005 puis une deuxième fois au suffrage universel en 2010.
La Loi fondamentale du Burundi limite à deux le nombre de mandats présidentiels.Mais le camp Nkurunziza assure que le premier mandat de son champion, en tant que premier président post-transition élu au suffrage indirect, ne doit pas être pris en compte dans le calcul.
Mercredi, le procureur général du Burundi, Valentin Bagorikunda, a annoncé que les responsables des manifestations seraient identifiés et jugés rapidement.
La porte-parole du parquet burundais, Agnès Bangiricenge, a précisé que toutes les personnes déjà arrêtées depuis dimanche ont été "inculpées de participation à un mouvement insurrectionnel".
Sur les campus, des étudiants ont dénoncé la fermeture des restaurants universitaires, destinée selon eux à faire rentrer chez eux, dans les provinces, les étudiants qui participent en nombre aux manifestations.
Depuis des mois, la communauté internationale met en garde contre une nouvelle candidature de Pierre Nkurunziza, de peur qu'elle ne débouche sur des violences à grande échelle dans ce petit pays d'Afrique des Grands Lacs.
L'ONU a encore averti mercredi que des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes pourraient être affectées si la situation dégénérait.
La Belgique, ancienne puissance coloniale, a estimé que "la responsabilité individuelle de ceux qui commettent des actes violents ou des violations graves des droits de l'Homme (serait) engagée".
Le Burundi se remet à peine d'une longue guerre civile, qui a fait près de 300.000 morts entre 1993 et 2006.
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