Tous deux sont nés et ont grandi à Mbaïki, à 80 kilomètres au sud-ouest de Bangui.Le premier est préfet et chrétien.Pendant des mois, il a résisté aux menaces et intimidations des rebelles qui occupaient sa ville et est resté.Le second est adjoint au maire, musulman, et à son tour, il refuse de partir.
"Je suis musulman, je suis né ici, ma mère, ma femme aussi, j'ai fait des enfants ici.Je ne partirai pas", assure d'une voix ferme Saleh Dido, un géant de 46 ans, qui a piqué sur son costume un badge "adjoint au maire"."Quand j'ai pris mes fonctions il y a cinq ans, j'ai juré de travailler pour mon pays.Une fois que j'ai juré, je me suis engagé devant Dieu!", explique-t-il.
Comme d'autres villes, Mbaïki s'est vidée, du jour au lendemain, de ses musulmans poussés à l'exode sous la pression de milices d'autodéfense majoritairement chrétiennes, les anti-balaka, avides de revanche après dix mois passés sous la férule de l'ex-rébellion à dominante musulmane, la Séléka.
Le 6 février, plus de 2.500 musulmans de Mbaïki ont embarqué à bord de camions militaires tchadiens pour être évacué vers un pays que beaucoup ne connaissaient pas.Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une vingtaine de familles musulmanes, une centaine de personnes.
Pourtant, témoigne le préfet Alexandre Kouroupe-Awo, Mbaïki "a eu de la chance jusqu'ici"."Bien sûr, il y a eu des exactions mais à moins grande échelle que dans les communes alentour, où il y a eu des dizaines de morts, des centaines de cases brûlées".
Le préfet, 55 ans, taille moyenne, cheveu ras, rare représentant de l'administration centrale dans l'intérieur du pays, a le courage modeste.
"Je n'ai pas voulu partir.Je pensais que je pouvais résister malgré les menaces ici ou là.Je ne pouvais pas abandonner la population", explique-t-il.
"Les Séléka, j'allais les voir, j'ai réussi à certains moments à imposer mon point de vue mais je ne pouvais pas m'éloigner trop de la ville, car dès que j'avais le dos tourné, les exactions commençaient", dit-il.
- "Ils se léchaient déjà les babines" -
Fin janvier, le cauchemar semble terminé.Les Séléka évacuent Mbaïki, "sur la pointe des pieds, sans faire de dégâts", dans la foulée de la démission de leur chef, le président Michel Djotodia, raconte le préfet: mais, "dès le matin, on a vu arriver les anti-balaka qui se léchaient déjà les babines...".
"Heureusement, les soldats français sont arrivés très vite et on a passé un accord avec les anti-balaka pour qu'ils n'entrent pas en force dans la ville.Je suis allé voir leurs chefs, ils n'étaient pas d'ici mais j'ai discuté avec eux comme j'avais discuté, avant, avec les Séléka, et ils m'ont écouté", ajoute-t-il.
Aujourd'hui, Mbaïki reste sous la protection de soldats congolais de la force africaine (Misca), et d'une vingtaine de policiers et gendarmes centrafricains, sans armes ni même uniformes.
Mais les anti-balaka "ne sont pas loin", dit Saleh Dido: "sous les Séléka, j'ai été attaché, frappé...Ils disaient que j'étais un maire de (François) Bozizé", le président renversé en mars 2013 par la rébellion."Aujourd'hui, on me menace, on cherche à m'intimider: ils disent que je suis un Séléka!", dit-il, sans se départir d'un grand sourire.
"Mon magasin a été pillé mais je ne vais pas mentir: je ne sais pas par qui, je n'ai pas vu.Ma femme a peur mais je lui ai dit: dans ce monde, il faut résister".
"Je suis triste que les musulmans soient partis mais ils reviendront, assure-t-il.Les trois quarts sont nés ici.Ils ne connaissent pas le Tchad.Ils ont tout quitté pour rien!".
Désormais, le préfet veut réunir la population: "Il faut qu'on décide de comment on peut faire.Ici, les habitants sont surtout des paysans, ce sont les musulmans qui tenaient les commerces.Il faut tout remettre en route, les fonctionnaires doivent reprendre le travail même s'ils ne sont pas payés, il faut rouvrir l'école..."
Malgré la confiance affichée, le préfet a laissé sa famille à Bangui: "comme ça, si ça chauffe, je pourrai partir en courant, tout seul".
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