L'incertitude régnait sur le lancement solennel prévu samedi de négociations entre islamistes au pouvoir en Tunisie et opposants qui sont censés s'engager dans un mois de pourparlers pour résoudre la profonde crise politique qui paralyse le pays.
Selon le syndicat UGTT, principal médiateur, le blocage vient du refus de la coalition au pouvoir dirigée par le parti islamiste Ennahda de signer formellement la feuille de route fixant le calendrier du "dialogue national".
"Les consultations (...) se poursuivent.Si nous parvenons à dépasser l'obstacle de la signature, le dialogue débutera", a déclaré à la presse le porte-parole du syndicat, Sami Tahri.
"Ca va de soi qu'il faut signer, si l'on dit qu'on accepte cette feuille de route", a-t-il ajouté.
Aucun représentant d'Ennahda n'était présent au Palais des Congrès de Tunis vers 11H00 (10H00 GMT), deux heures après l'heure prévue du début de cette réunion.
Jusqu'à présent, Ennahda a affirmé accepter la feuille de route qui prévoit dans les quatre prochaines semaines la mise en place d'un gouvernement d'indépendants et l'adoption d'une Constitution, d'une loi électorale et d'un calendrier pour les prochaines élections.
"On ne voit pas pourquoi Ennahda refuse de signer.Cette position révèle de mauvaises intentions et consacre un climat de méfiance", a jugé Mongi Rahoui, un dirigeant du Front populaire (opposition de gauche).
"Si (Ennahda) insiste, il peut y avoir un report" du lancement des négociations, a-t-il ajouté.
Mouldi Riahi, un représentant d'Ettakatol, parti laïque de centre-gauche allié aux islamistes, a pour sa part accusé les opposants d'imposer "d'autres conditions" à la dernière minute.
L'ensemble des partis de l'Assemblée nationale constituante (ANC), le président Moncef Marzouki, le Premier ministre islamiste Ali Larayedh et le président de l'ANC Mustapha Ben Jaafar doivent participer à la réunion de samedi.
Cet événement se veut avant tout solennel, les négociations de fond ne devant débuter qu'en début de semaine prochaine.
Manque de confiance
Les islamistes ont dit accepter le principe d'un gouvernement d'indépendants pour sortir de l'impasse politique provoquée par l'assassinat du député d'opposition Mohamed Brahmi le 25 juillet.
Ils ont cependant conditionné leur départ du pouvoir au règlement de l'ensemble des désaccords qui paralysent le processus de transition, plus de deux ans et demi après la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali début 2011.
Une coalition hétéroclite d'opposition, à l'origine d'une campagne de protestation en août qui s'est essoufflée depuis, doit pour sa part retourner à l'ANC qu'elle boycotte depuis deux mois.
Les experts étaient très prudents quant aux chances de succès de ce "dialogue national", dont l'organisation a nécessité deux mois de négociations sous l'égide de l'UGTT et de trois autres médiateurs.
"La feuille de route est une plateforme mais son application mot à mot est peu probable à cause du manque de confiance entre les deux clans", estime le politologue Slaheddine Jourchi.
Le chercheur Sami Brahem relève aussi qu'"au niveau pratique, le calendrier de la feuille de route est réalisable, mais le problème est d'ordre moral, le manque de confiance et la méfiance entre la coalition au pouvoir (...) et l'opposition".
Signe de l'animosité ambiante, des figures d'opposition ont accusé une nouvelle fois cette semaine Ennahda d'être impliqué dans l'assassinat de Mohamed Brahmi et dans celui en février d'un autre opposant, Chokri Belaïd.Ces crimes jamais revendiqués ont été attribués à la mouvance salafiste.
Néanmoins, certaines figures de l'opposition se veulent optimistes.
"Il n'est pas permis d'être pessimiste.Nous estimons que tous les partis politiques feront preuve d'un sens patriotique", a jugé Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain.
"Le peuple tunisien attend avec impatience une solution à cette crise qui pèse lourd", a-t-elle ajouté.
La paralysie institutionnelle, associée à l'émergence de groupes salafistes armés, a en effet nourri les difficultés économiques, les investisseurs se montrant toujours plus frileux tandis que l'inflation et la dépréciation du dinar tunisien viennent grignoter le pouvoir d'achat.
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