"Ce sont nos innocents contre vos innocents".Quand Abubaker Shariff Ahmed, alias "Makaburi", figure de la mosquée Musa, coeur de l'islamisme radical à Mombasa sur la côte du Kenya, justifie le massacre d'enfants en septembre au centre commercial Westgate à Nairobi, il conserve un ton assuré mais calme.
Tout en rondeurs, le visage joufflu terminé par un bouc roux, l'homme, cheveux blancs, est vêtu d'un simple pagne local et d'un tee-shirt blanc déformé par l'âge.Il le dit sans détour: il ne croit pas à la démocratie, veut l'imposition de la charia (loi islamique) partout dans le monde et assure que l'attaque du Westgate par un commando islamiste, au cours duquel au moins 67 personnes ont péri, dont des femmes et des enfants, était "100% justifié".
"Est-ce que (les femmes et les enfants) tués en Somalie ne sont pas innocents?", demande-t-il depuis le petit réduit aveugle aux murs défraîchis qui lui sert de bureau et de logement, sous un drapeau noir orné d'un sabre et de la "Chahada" (profession de foi musulmane), variation des divers étendards adoptés par les groupes djihadistes de par le monde.
En Somalie, assure-t-il, l'armée kényane qui participe à une force africaine "fait la même chose, voire pire que ce qui s'est passé au Westgate", où le commando a mitraillé aveuglément commerçants, clients et des enfants participant à un concours de cuisine."Selon la religion islamique, ils (les auteurs de l'attaque) avaient le droit de venger".
Quant aux victimes musulmanes de l'attaque, lancée à la mi-journée, elles "n'avaient de musulman que le nom", assure-t-il: à cette heure de prière, "comment un musulman peut-il être dans un centre commercial au lieu d'être à la mosquée?".
Pour lui, ce que l'Occident appelle "terrorisme, fondamentalisme, radicalisme" n'est que la réponse à sa violence envers l'islam: "Les gouvernements occidentaux tuent des innocents partout dans le monde tous les jours."
"Pourquoi les pilotes de drones ne sont jamais qualifiés de terroristes?", alors que "quand un seul non-musulman est tué par un musulman, c'est du terrorisme", poursuit-il.
"Makaburi" se défend d'être extrémiste ou radical.Simplement un "vrai" musulman: "L'islam radical est une création de ceux (...) qui sont opposés à l'islam.Il n'y a pas d'islam radical (...) nous n'avons pas de modérés, d'extrémistes, l'islam est une seule religion" basée sur le Coran.
L'islam "véritable", cependant, n'est selon lui aujourd'hui en vigueur qu'à Falloujah, ville d'Irak récemment conquise par un groupe djihadiste proche d'Al-Qaïda, dans les zones afghanes sous contrôle taliban et dans celles de Somalie aux mains des islamistes shebab."Même l'Arabie Saoudite est un pays chrétien gouverné par quelqu'un qui se prétend musulman", dit-il.
- Risque de 'guerre civile' -
Il nie cependant les accusations de l'ONU qui l'a placé depuis 2012 sous sanctions pour "ses liens étroits avec les membres influents" des shebab.
L'ONU le décrit comme "un important (...) recruteur de jeunes musulmans kényans en vue d'activités militantes violentes en Somalie", qui "fournit un appui matériel à des groupes extrémistes au Kenya" et en Afrique de l'Est et participe "à la mobilisation et à la gestion de fonds pour les shebab".
"Je ne soutiens pas les shebab, je ne connais pas de shebab (...) Où sont les preuves que j'ai recruté qui que ce soit?Qui ai-je recruté?Où, quand, comment?Ce sont justes des accusations (...) c'est des conneries", réagit-il dans un rare moment d'emportement mesuré.
Les shebab n'ont pas besoin de recruter, affirme-t-il, "le moteur le plus fort poussant les jeunes musulmans à rejoindre le jihad en Somalie, c'est l'injustice du gouvernement kényan": la féroce répression policière - aux abus dénoncés par des ONG - particulièrement contre les fidèles de la mosquée Musa "radicalise les jeunes plus que n'importe quel prédicateur le pourrait", dit-il.
"La démocratie (...) tue les musulmans", assure Makaburi, citant les "exécutions" de plusieurs prédicateurs de la mosquée - dont celle en 2012 de son "ami" Aboud Rogo Mohammed, lui aussi accusé d'être lié aux shebab -, les arrestations et tortures de fidèles, dont certains disparaissent aux mains de la police.
Son propre avenir est selon lui tout tracé: "Ma vie est en danger, ils finiront par me tuer."
Face à cela, "comment s'attendre à ce que (les jeunes musulmans kényans) ne rendent pas les coups?Il ne leur manque que les armes, s'ils avaient des armes, nous aurions une guerre civile au Kenya, dès maintenant", assure-t-il.
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