Des millions de dollars en petites coupures: les rançons touchées par les pirates somaliens excitent les convoitises et alimentent une économie parallèle dans toute la région et au-delà, assurent policiers et experts internationaux.
S'il a commencé de façon artisanale, avec d'anciens pêcheurs montant à l'abordage de ce qui passait à leur portée, le business de la piraterie au large de la Somalie est désormais aux mains de gangs structurés, riches, disposant de réseaux de financement, de renseignements et de négociation dans plusieurs pays.
"Cette année, nous sommes parvenus à connecter des enquêtes de piraterie entre l'Europe occidentale et l'Afrique de l'Est", dit Jean-Michel Louboutin, directeur exécutif des services de police d'Interpol.
"Nous avons publié notre première +notice rouge+, avis de recherche international pour quelqu'un recherché pour piraterie", ajoute-t-il.
Selon l'ONU, 37 navires ont été capturés depuis le début de l'année et aujourd'hui vingt navires et 438 marins sont entre leurs mains.
Et c'est une centaine de millions de dollars, selon une étude de l'institut londonien Chatham House, que les pirates ont engrangé ces deux dernières années.
Pour négocier, toucher et éventuellement recycler de telles sommes, les clans somaliens spécialisés dans la piraterie avaient besoin d'aide, et ils en ont trouvé.
"Nous estimons qu'ils ont des réseaux de correspondants dans la région", assure un expert international, qui prépare un rapport sur la question et demande à rester anonyme."Cela leur permet de négocier les rançons, puis de transférer hors de la Somalie une partie de l'argent".
Un autre spécialiste de la question, basé lui dans les Emirats arabes unis, ajoute: "c'est l'ironie de Dubaï: les négociations sont menées ici, les parachutages d'argent sont organisés par des sociétés de sécurité qui sont basées ici.Une fois l'argent livré, une partie revient ici, discrètement".
Selon lui, ce sont encore une fois les "hawalas", système informel de transfert d'argent qui ne laisse aucune trace écrite, qui seraient utilisés.
Après un article du journal Independent, qui citait des enquêteurs travaillant pour des armateurs selon lesquels une partie des rançons repasserait par Dubaï, le chef-adjoint de la police de l'émirat a affirmé en avril que "l'argent des pirates n'est pas blanchi à Dubaï".
Mais dans l'édition 2010 de son rapport stratégique sur le contrôle des narcotiques (INCSR), le Département d'Etat américain écrit: "il est rapporté que les Emirats sont utilisés comme centre financier par les réseaux de pirates opérant au large de la Somalie".
Autre pays de la région, le Kenya, où les prix de l'immobilier se sont envolés par endroits de façon étrange depuis trois ans, est également désigné dans ce rapport qui estime que "le système financier kenyan pourrait blanchir plus de 100 millions de dollars par an, provenant des trafics de drogue et des fonds liés à la piraterie somalienne".
En 2008, un rapport de l'ONU, basé sur des témoignages recueillis dans la ville somalienne d'Eyl, haut-lieu de la piraterie, révélait que l'argent des rançons était partagé à parts à peu près égales entre les pirates, les milices locales et les chef traditionnels d'un côté et les financiers et sponsors de l'opération de l'autre.
Et les sommes en jeu suscitent des vocations bien au-delà de la Corne de l'Afrique.
Pour Birgen Keles, auteur d'un rapport remis en avril au comité des affaires politiques de l'Otan, "une nouvelle économie a fleuri dans le monde entier, avec des sociétés de sécurité, des avocats et des négociateurs spécialisés tirant profit de leur implication dans les affaires de piraterie".
"Londres semble être devenu le point de ralliement pour ces firmes qui aident les armateurs à résoudre les problèmes juridiques posés par le paiement des rançons", selon elle.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.