Hajar Raissouni, 28 ans, reporter du quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum, risque jusqu'à deux ans de prison aux termes du code pénal marocain qui sanctionne les relations sexuelles hors mariage et l'avortement quand la vie de la mère n'est pas en danger.
Dénonçant une "affaire politique", la jeune femme, placée en détention après son arrestation le 31 août à la sortie d'un cabinet médical de Rabat, assure avoir été soignée pour une hémorragie interne.
Son fiancé, qu'elle devait épouser cette semaine, a été arrêté en même temps qu'elle, tout comme le médecin traitant, un infirmier et une secrétaire.
Des mouvements féministes mais aussi des organisations de défense des droits humains comme Amnesty international et Human Rights Watch ont appelé à libérer la journaliste au nom du respect des libertés individuelles.
Son sort a suscité une vague d'indignation dans les médias et sur les réseaux sociaux, autour du droit des femmes à disposer de leur corps, du respect de la vie privée, de la liberté des moeurs ou de la presse.
Les messages les plus critiques parlent de "réalité moyenâgeuse", de "lois liberticides", de "violence institutionnelle envers les femmes", d''"intrusion de l'Etat dans la vie privée" des citoyens, de "manipulation politique" ou de "harcèlement" des journalistes.
Assurant que l'arrestation d'Hajar Raissouni "n'a rien à voir avec sa profession de journaliste", le parquet de Rabat a détaillé mercredi dans un communiqué les éléments médicaux confirmant ses "signes de grossesse" et son "avortement".
La journaliste, elle, dénonce des "accusations fabriquées" et une "affaire politique" liée à de récents articles consacrés aux détenus du mouvement social du "Hirak", selon ses proches.
Elle assure aussi dans une lettre publiée par son journal avoir été interrogée en garde-à-vue sur ses oncles, un idéologue islamiste connu et un éditorialiste d'Akhbar Al-Yaoum réputé pour sa plume acerbe.
Hajar Raissouni est elle-même relativement peu connue et sans positionnement idéologique affiché.
- "Coeur brisé, tête haute" -
"Je vais vers mon destin le c-ur brisé et la tête haute", a déclaré la jeune femme à des proches venus la visiter en prison en fin de semaine dernière, rapporte le site Alyaoum24 appartenant au même groupe que son journal, considéré comme proche du parti islamiste PJD (à la tête du gouvernement).
Au Maroc, comme d'autres pays musulmans, une réputation sans tache est socialement vitale pour les jeunes filles.
Certains éléments du dossier clinique de la journaliste ont été publiés par son quotidien avec son autorisation dans le but de la disculper, puis des documents médicaux à charge ont fuité dans la presse avant d'être détaillés dans le communiqué du parquet.
Quelque 150 journalistes ont signé une pétition de solidarité dénonçant les "campagnes diffamatoires" visant à détruire leur cons-ur.Sa photo a été placée sur des sièges vides pendant la conférence de presse hebdomadaire du porte-parole du gouvernement.
Interpellé sur le sujet, le porte-parole a souligné l'existence d'un "cadre juridique relatif aux affaires de diffamation" et rappelé que la révision du code pénal -y compris les dispositions concernant l'avortement- figurait à l'ordre du jour des débats parlementaires.
"Les questions de l'égalité homme-femme, des libertés individuelles -et notamment le droit des femmes de disposer librement de leurs corps- ne sont plus le combat d'une partie des Marocains, c'est notre combat à tous quelles que soient nos appartenances idéologiques", affirme une pétition soutenue par plusieurs féministes et activistes des droits humains.
Un sit-in de solidarité est prévu devant le tribunal de Rabat avant l'ouverture du procès, programmée lundi à 13H00 (12h00 GMT).
En 2018, la justice marocaine a poursuivi 14.503 personnes pour débauche, 3.048 pour adultère, 170 pour homosexualité et 73 pour avortements, selon les chiffres officiels. Entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc, selon des estimations d'associations.
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