Les dirigeants africains se montrent remarquablement silencieux sur les naufrages de migrants en Méditerranée, qui concernent pourtant nombre de leurs citoyens, en particulier dans l'ouest du continent, une crise révélatrice de leurs défaillances, dénoncent responsables et associations.
Près de 1.800 personnes sont mortes dans des naufrages en Méditerranée depuis le début de l'année, selon l'Organisation internationale des migrations (OIM), dont une grande majorité d'Africains.
Plus de la moitié des quelque 800 morts du naufrage d'un chalutier parti de Libye, survenu dans la nuit du 18 au 19 avril et qui a soulevé l'émotion mondiale, venaient de Gambie, du Sénégal et du Mali, selon les bilans recueillis dans ces pays.
Réunie au début du mois à Banjul, la Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples a regretté que "la dégradation de la situation socio-économique, politique et sécuritaire dans certains pays pousse ces personnes à se lancer dans l'aventure migratoire au péril de leurs vies".
"La Commission déplore le silence des pays africains et appelle l'Union africaine et les �?tats parties à assumer leurs responsabilités", a-t-elle ajouté, les exhortant à "répondre à la détresse des ces populations".
"Le silence des dirigeants africains face au drame de l'émigration clandestine, avec son lot de morts, est troublant", renchérit Amsatou Sow Sidibé, ministre conseillère du président sénégalais Macky Sall.
"L'émigration clandestine vide le continent et les pays africains des bras aptes à promouvoir leur développement", a-t-elle déclaré à l'AFP, incriminant "la pauvreté ambiante et le chômage massif" qui poussent les jeunes vers "d'autres horizons où ils espèrent, souvent à tort, trouver les conditions d'une vie plus supportable".
- �?migration forcée -
Le chef d'un parti d'opposition gambien et militant des droits de l'Homme, Ousainou Darboe, souligne que "tous les mercredis et vendredis, nos jeunes montent dans des bus à Banjul à destination du Mali, pour continuer jusqu'en Libye où ils embarquent sur des bateaux poubelles".
Il reproche à son gouvernement de "n'avoir rien fait contre l'émigration illégale, sinon le phénomène aurait diminué".
Tout aussi incisif, le président de l'Association malienne des expulsés (AME), Ousmane Diarra, juge que "la mauvaise gouvernance fait partir les gens en immigration, c'est donc une immigration forcée par le système africain".
"Les chefs d'�?tat européens ont été capables de se réunir, mais silence en Afrique", a-t-il déclaré à l'AFP à Bamako, estimant néanmoins la politique européenne vouée à l'échec "tant qu'il n'y a pas de réponse à la gouvernance en Afrique", comme "au Mali où les jeunes n'ont pas de diplôme et de travail".
La Commission européenne a établi un plan qui prévoit l'accueil d'un nombre accru de demandeurs d'asile, mais aussi l'accélération des renvois des migrants non autorisés, et le lancement depuis lundi, soit un mois après le naufrage du 19 avril, d'une opération navale contre les passeurs en Méditerranée.
Le ministre des Maliens de l'Extérieur, Abdourhamane Sylla, souhaite "des concertations entre les pays d'accueil et les pays de départ" pour tarir à la source des migrations dues à la pauvreté".
"Je ne crois pas que les durcissements puissent être la solution", a-t-il indiqué à l'AFP, disant avoir "plutôt peur de ces mesures de l'Union européenne".
Brisant le silence gêné de ses pairs, le président gambien Yahya Jammeh est allé lui jusqu'à incriminer les familles de migrants la semaine dernière à la télévision, assurant que des perspectives d'emploi existaient sur place.
"Nous avons tous vu à la télévision les Européens se plaindre des difficultés économiques, et pourtant des gens dans ce pays sont prêts à payer pour que leurs fils et filles aillent mourir en Méditerranée", a lancé M. Jammeh.
"Certains parents ne se soucient guère de la manière dont leurs enfants gagnent leur vie en Europe.Tout ce qui les intéresse, c'est l'argent qu'ils leur envoient", a-t-il accusé.
Les transferts d'argent des travailleurs migrants vers leurs pays d'origine représentent des flux financiers importants pour les pays en développement, compensant souvent les reflux des investissements.
Ainsi en Gambie, ils ont atteint en 2013 un montant de 181 millions de dollars, soit près de 20% du Produit intérieur brut (PIB), selon la Banque mondiale.
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