Nigeria: polémique autour d'un culte traditionnel "interdit aux femmes"

Infos. L'ordre donné par l'un des rois traditionnels nigérians, obligeant les femmes de rester à la maison mardi, jour de célébration de la divinité yorouba d'Oro, a déclenché une vive polémique dans la capitale économique de Lagos.

Nigeria: polémique autour d'un culte traditionnel "interdit aux femmes"

"Comme le veut la tradition, il est interdit à toute femme d'être vue à l'extérieur de leur maison ou de se déplacer en ville le 8 mai à partir de minuit", journée de célébration du dieu Oro, a ordonné le roi d'Ikorodu, dans un communiqué. 

Ikorodu était autrefois un petit royaume yoruba, mais avec l'urbanisation accélérée, il a peu à peu été avalé par la tentaculaire ville de Lagos.Ikorodu est désormais plus connue pour être une immense banlieue périphérique, commerçante et grouillante de monde, qui peine à défendre ses traditions ancestrales.

L'annonce n'est pas passée inaperçue sur les réseaux sociaux, certains habitants de Lagos s'indignant de cette mesure "rétrograde", d'autres s'inquiétant des pertes d'argent que celle-ci pouvait générer si toutes les femmes d'Ikorodu ne peuvent plus vendre au marché. 

"Et cela se passe donc dans l'un des Etats les plus 'libéraux' du Nigeria", s'indigne un internaute nigérian."Nous sommes une société très arriérée". 

Le commissaire de la police locale a aussitôt convoqué les leaders traditionnels ainsi que les représentants du gouvernement de l'Etat de Lagos pour clarifier les choses: "Le festival se tiendra sans nier aux femmes leur liberté de mouvement".

"Les femmes pourront poursuivre leurs activités commerciales sans menace ou obstacle", a assuré la veille au soir le porte-parole de la police Chike Oti, divisant les Lagossiens entre défenseurs des dogmes traditionnels et défenseurs des droits des femmes et de la modernité. 

En effet, selon les croyances de la communauté yorouba, qui se transmettent depuis des siècles, les femmes ne doivent en aucun cas voir 'Oro', au risque d'être "condamnée à mort".  

Lorsque les prêtres et les leaders communautaires ont choisi de le célébrer, celles-ci doivent rester "couchées par terre avec un tissu sur la tête", selon l'hebdomadaire local Tempo. 

En 1999, une femme de l'ethnie Hausa était sortie de chez elle: un simple incident qui avait entraîné la mort de 50 personnes entre les deux communautés. 

 - 'ne sois pas jalouse' -

La mythologie ancestrale yorouba est sujette à de nombreuses interprétations, mais selon le Tempo, Oro est en réalité l'époux de Majowu, déesse de la paix et de discipline des femmes, et dont le nom signifie "ne sois pas jalouse". 

Dans cette ethnie où des générations entières se sont construites sur la polygamie, on imagine que la déesse Majowu et son heureux mari Oro ont été maintes fois invoqués par les prêtres vaudous...de sexe masculin. 

Mais au-delà de ses pouvoirs sur la gestion des ménages, Oro est craint à travers la population yorouba, qui comprend quelque 40 millions de personnes, et qui est encore très attachée aux croyances ancestrales malgré l'influence de l'Islam et du Christianisme dans le sud-est du Nigeria depuis l'ère coloniale.

"Ceux qui conduisent le festival d'Oro ne disent jamais rien, c'est pour ça qu'il est tant craint", regrette Azuka Onwuka, éditorialiste dans un quotidien local. 

"Mais les médias savent ce qu'implique le festival d'Oro.Dans les églises et les mosquées, on le sait aussi.Les gens éduqués ne connaissent Oro que trop bien", assène le journaliste."Nous savons tous qu'il implique parfois des sacrifices humains, mais tout le monde se tait."

"Les pouvoirs publics doivent être clairs: si une seule vie est sacrifiée au nom du culte d'Oro ou de tout autre tradition à travers le pays, les leaders traditionnels et les prêtres seront tenus pour responsables et poursuivis", martèle M. Onwuka dans le Punch. 

L'intervention des autorités pour autoriser les femmes à sortir de leur maison est en soi un camouflet envers les autorités et les croyances traditionnelles.Oro et Majowu ne sont visiblement plus les bienvenus. 

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