Le régime Mnangagwa "n'est pas un gouvernement réformiste" contrairement aux assertions du nouvel homme fort du Zimbabwe, "il fait usage des mêmes méthodes, de la même brutalité", estime Dewa Mavhinga, directeur régional de Human Rights Watch (HRW).
Le nouveau chef de l'Etat, un ancien proche de Robert Mugabe tombé en disgrâce, avait brièvement suscité l'espoir en prenant le pouvoir fin 2017.Il avait promis "un nouveau chemin" pour le pays après des années de crise économique et de répression.
En août dernier, la mort de 6 civils tués par balle par les forces de l'ordre lors de manifestations post-électorales avait sonné la fin de la lune de miel.
Depuis une semaine, la répression brutale de la fronde sociale contre la hausse des prix des carburants (+150%) ne fait que confirmer la nature du gouvernement, estiment des analystes.
Le "masque du régime" est définitivement "tombé", juge Piers Pigou, de l'International Crisis Group (ICG).
On a finalement affaire au "même système, celui responsable des massacres de Gukurahundi (environ 20.000 morts entre 1983 et 1984) et des violences électorales de 2008 (plus de 200 morts)", poursuit Dewa Mavhinga.
A une différence près, l'équipe actuellement en place est encore "plus décomplexée" que celle de Robert Mugabe, ajoute-t-il devant la presse à Johannesburg mardi.
- Chiens lâchés -
Et d'énumérer l'implication "plus affichée" des militaires dans la répression, les tirs à balle réelle et la longue coupure d'internet.
"C'est extrême, sans précédent", estime le responsable de HRW.
Piers Pigou acquiesce."En 2008, la répression était dans une certaine mesure l'-uvre d'un réseau informel.Et il y avait eu une vingtaine de blessures par balle."
"Tirer à balle réelle pour contrôler la foule", comme les forces de l'ordre l'ont fait la semaine dernière, "marque une étape grave", estime-t-il.
La répression a fait au moins 12 morts et 78 blessés par balle, selon un bilan provisoire des ONG.Les autorités avancent le chiffre de 3 morts.
"Ils ont tiré sur des gens à un mètre de distance", témoigne, photos à l'appui, Norman Batara de l'Association zimbabwéenne des médecins pour les droits de l'Homme.
L'ONG parle de chiens lâchés sur des civils, de blessés forcés de quitter l'hôpital pour comparaître devant un tribunal, d'un enfant de 9 ans battu, d'un homme dont la plante des pieds a été minutieusement trouée à l'aide d'un tesson de bouteille...
Menacés, plusieurs médecins de l'organisation ont fui leur pays pour trouver refuge en Zambie, au Botswana, en Afrique du Sud voisines.
Même la Commission des droits de l'Homme du Zimbabwe, mise en place par le gouvernement et généralement très discrète, a accusé les forces de l'ordre de "torture systématique".
- 'Mafia' -
Le président Mnangagwa a jugé mardi "inacceptables" les dérapages de ses troupes.Il avait fait de même en août.
Mais à ce jour, aucune sanction n'a été prise contre les militaires qui avaient ouvert le feu l'an dernier, notent les experts, qui s'interrogent sur le réel pouvoir de contrôle du président sur les forces de l'ordre.
"Cela laisse penser qu'il ne maîtrise pas la situation", estime Piers Pigou.
"Il y a des tensions" entre Emmerson Mnangagwa et son vice-président, l'ancien général Constantin Chiwenga, complète Dewa Mavhinga.
"C'est une mafia et ils se battent pour savoir qui va devenir le parrain.Cela dépendra de qui contrôle notamment l'argent de l'industrie du diamant" au Zimbabwe, ajoute-t-il.
Plutôt que des frictions à la tête de l'Etat, Derek Matyszak de l'Institut pour les études de sécurité (ISS) sud-africain privilégie une autre hypothèse.
Le chef de l'Etat et son vice-président se sont stratégiquement répartis les rôles.Au premier, celui du "bon flic", au second celui du "mauvais flic", avance Derek Matyszak.
Pour preuve, selon lui, après l'annonce de l'augmentation spectaculaire des prix à la pompe, le président Mnangagwa s'est envolé pour une tournée à l'étranger, laissant le soin à son vice-président de gérer les manifestations.
Emmerson Mnangagwa, surnommé le "crocodile" pour son caractère impitoyable, "n'est jamais près de la scène du crime", prévient Derek Matyszak.
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