Les commémorations du génocide de 1994 au Rwanda, qui débutent lundi, sont d'ores et déjà entachées par un regain de tension avec la France que le président Paul Kagame a de nouveau accusée d'avoir pris part aux massacres.
"Pour que nos deux pays commencent réellement à s'entendre, nous allons devoir regarder la vérité en face", a réagi dimanche la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo, estimant "injustifiée" la décision de la France d'annuler sa participation aux commémorations du 20e anniversaire du génocide.
Paris a pris cette décision après une interview de Paul Kagame parue dimanche, dans laquelle il accuse la France d'avoir joué, de même que l'ex-puissance coloniale belge, un "rôle direct dans la préparation du génocide" et d'avoir participé "à son exécution même".
Dimanche soir, le ministère français des Affaires étrangères a néanmoins indiqué que la France sera représentée aux commémorations par son ambassadeur à Kigali Michel Flesch.
"Il n'a jamais été question d'un boycott des cérémonies", a expliqué le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal, affirmant que "la décision samedi ne concernait que la participation de la ministre de la Justice (Christine Taubira) aux cérémonies".
Cette polémique marque un nouveau coup d'arrêt à la normalisation des relations entre les deux pays qui, malgré une réconciliation officielle en 2010, restent empoisonnées par le soupçon sur le rôle exact dans le génocide de la France, alliée à l'époque du régime extrémiste hutu à l'origine des massacres.
"Il est impossible pour nos deux pays d'avancer (...) au détriment de la vérité historique du génocide", a souligné Mme Mushikiwabo.
Les commémorations, placées sous le thème "Souvenir, unité, renouveau", s'étendront sur 100 jours, en écho à la centaine de jours qui ont suffi entre avril et juillet 1994 pour exterminer 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsi.
Mais ces nouvelles tensions avec la France et les enjeux diplomatiques plus larges de cet anniversaire pour Kigali, récemment cible de sévères et inédites critiques internationales, pourrait bien éclipser le "souvenir" des victimes.
Tout en niant les accusations de M. Kagame, la Belgique a elle maintenu sa participation."Ce que nous allons faire au Rwanda, c'est commémorer un génocide, c'est-à-dire rappeler la mémoire des victimes, de leurs familles", a souligné dimanche son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, "c'est ça le sens de notre démarche.Nous n'allons pas rendre hommage à un gouvernement rwandais actuel".
M. Reynders sera notamment accompagné à Kigali des familles des 22 victimes belges des massacres, dont dix parachutistes tués aux premières heures du génocide le 7 avril 1994, en même temps que le Premier ministre rwandais d'alors, Agathe Uwilingiyimana, qu'ils étaient chargés de protéger.
Le Rwanda a longtemps bénéficié dans ses relations diplomatiques du sentiment de culpabilité de la communauté internationale, restée inerte face aux massacres.
Mais Kigali a récemment été accusé, jusque par ses plus proches alliés, Washington en tête de déstabiliser l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et d'être impliqué dans les meurtres ou tentatives de meurtre de dissidents rwandais réfugiés en Afrique du Sud.
- période douloureuse -
Ont également été pointés du doigt des insuffisances en matière de démocratie et dans son interview, M. Kagame a dénoncé sans autre précision les "puissances occidentales qui, aujourd'hui définissent seules les règles de la bonne gouvernance et les normes de la démocratie" après avoir joué un "rôle clé, dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide".
Lundi, le président rwandais allumera une flamme au mémorial de Gisozi à Kigali, avec une torche qui a fait le tour du Rwanda au cours des trois derniers mois.Après une "marche du souvenir", il prononcera un discours dans le plus grand stade de la capitale.
L'ONU, incapable en 1994 d'empêcher les massacres malgré 2.500 Casques-bleus sur place, sera représentée par son secrétaire général Ban Ki-moon.Washington a de son côté envoyé sa représentante à l'ONU, Samantha Power.
"L'échelle de brutalité au Rwanda continue de choquer: une moyenne de 10.000 morts par jour, chaque jour durant trois mois", a rappelé M. Ban dimanche, soulignant que l'impact des massacres continuait de se faire sentir "dans la région des Grands-Lacs et dans la conscience collective de la communauté internationale".
Mais celle-ci "ne peut pas se dire concernée par les atrocités puis se dérober quand ressources et détermination sont nécessaires", a-t-il poursuivi citant expressément la Syrie et la Centrafrique.
Le deuil officiel au Rwanda prendra fin le 4 juillet, anniversaire de la prise de Kigali par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), commandés par Paul Kagame, qui allaient mettre fin au génocide.
Chaque année, l'anniversaire des massacres est une période douloureuse."A cette période de l'année, les souvenirs sont trop lourds à porter", explique, d'une voix tremblante après la messe Louise Ndamyimana, dont toute la famille fut massacrée, "chaque heure de chaque jour je pense à tous ceux qui sont morts, mais ces pensées sont écrasantes".
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