Les commémorations du génocide de 1994 au Rwanda, qui débutent lundi, sont d'ores et déjà entachées par un regain de tension avec la France que le président Paul Kagame a de nouveau accusée d'avoir pris part aux massacres.
Ce 20e anniversaire, placé sous le thème "Souvenir, unité, renouveau", s'étendra sur 100 jours pour faire écho à la centaine de jours qui a suffi pour exterminer 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsi, entre avril et juillet 1994.
Alors que le Rwanda est la cible de critiques internationales, le "souvenir" des victimes pourrait bien être éclipsé par les enjeux diplomatiques de cet anniversaire, d'ores et déjà marqué par l'absence de la France, alliée à l'époque du régime extrémiste hutu et dont le rôle durant le génocide reste très controversé.
Paris a annulé sa participation aux commémorations, après une interview de Paul Kagame parue dimanche, dans laquelle il accuse la France d'avoir joué, de même que l'ex-puissance coloniale belge, un "rôle direct dans la préparation du génocide" et d'avoir participé "à son exécution même".
Le retrait français marque un nouveau coup d'arrêt à la normalisation des relations entre les deux pays, empoisonnées par le soupçon malgré une réconciliation officielle en 2010.
La Belgique a nié ces accusations mais a maintenu sa participation."Ce que nous allons faire au Rwanda, c'est commémorer un génocide, c'est-à-dire rappeler la mémoire des victimes, de leurs familles", a souligné dimanche son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, "c'est ça le sens de notre démarche.Nous n'allons pas rendre hommage à un gouvernement rwandais actuel".
M. Reynders sera notamment accompagné à Kigali des familles des 22 victimes belges des massacres, dont dix parachutistes tués aux premières heures du génocide le 7 avril 1994, en même temps que le Premier ministre rwandais d'alors, Agathe Uwilingiyimana, qu'ils étaient chargés de protéger.
Kigali, qui a longtemps bénéficié, dans ses relations diplomatiques, du sentiment de culpabilité de la communauté internationale restée inerte face aux massacres, est depuis quelques mois la cible de sévères critiques, même de ses plus proches alliés, Etats-Unis en tête.
Le Rwanda est accusé de déstabiliser l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et d'être impliqué dans les meurtres ou tentatives de meurtre de dissidents rwandais réfugiés en Afrique du Sud.L'absence de réelle démocratie est également pointée du doigt.
- Période douloureuse -
Dans son interview, le président rwandais a souligné "le rôle clé, dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide, de ces (...) puissances occidentales qui, aujourd'hui définissent seules les règles de la bonne gouvernance et les normes de la démocratie".
Ses propos ont été appuyés dimanche par la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo selon laquelle la France doit "regarder la vérité en face" concernant son rôle dans le génocide.Elle a estimé "injustifiée" la décision française d'annuler sa participation aux cérémonies.
Lundi, M. Kagame allumera une flamme au mémorial de Gisozi, à Kigali, avec une torche qui a fait le tour du Rwanda au cours des trois derniers mois.Après une "marche du souvenir", il prononcera un discours dans le plus grand stade de la capitale.
L'ONU, incapable en 1994 d'empêcher les massacres malgré 2.500 Casques-bleus sur place, sera représentée par son secrétaire général Ban Ki-moon.Washington a de son côté envoyé sa représentante à l'ONU, Samantha Power.
"L'échelle de brutalité au Rwanda continue de choquer: une moyenne de 10.000 morts par jour, chaque jour durant trois mois", a rappelé M. Ban dimanche, soulignant que l'impact des massacres continuait de se faire sentir "dans la région des Grands-Lacs et dans la conscience collective de la communauté internationale".
Mais celle-ci "ne peut pas se dire concernée par les atrocités puis se dérober quand ressources et détermination sont nécessaires", a-t-il poursuivi citant expressément la Syrie et la Centrafrique.
Le deuil officiel au Rwanda prendra fin le 4 juillet, "jour de la libération", anniversaire de la prise de Kigali par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), commandés par Paul Kagame, qui allaient mettre fin au génocide.
Les commémorations "sont un temps pour se souvenir des vies perdues, faire preuve de solidarité avec les survivants et nous unir afin que cela n'arrive plus jamais, au Rwanda ou ailleurs", explique le programme officiel.
Dès dimanche, dans les églises, de nombreux Rwandais ont associé les victimes à leurs prières. Chaque année, l'anniversaire des massacres est une période douloureuse, parfois marquée par des "ihahamuka", crises traumatiques incontrôlables, parfois collectives.
"A cette période de l'année, les souvenirs sont trop lourds à porter", explique, d'une voix tremblante après la messe Louise Ndamyimana, dont toute la famille fut massacrée, "chaque heure de chaque jour je pense à tous ceux qui sont morts, mais ces pensées sont écrasantes".
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