Quatre ans après que sa famille a abandonné la région d'Abyei en guerre pour se réfugier au Soudan du Sud, le fils aîné de Nyrop Nyol a été recruté au sein d'une force armée, probablement pour aller combattre dans cette même région que lui et les siens ont dû fuir.
"Beaucoup de gens ont été recrutés.Lorsqu'il a vu ceux du village être enrôlés, il s'est présenté de lui-même", raconte cette mère de huit enfants, à propos de son fils Daper, 17 ans, dont elle est sans nouvelle depuis un mois.
"Si un jeune refuse d'être recruté, ils le forcent", assure-t-elle, évoquant des descentes d'hommes en armes munis de bâtons pour frapper les récalcitrants.
Ces recruteurs sont venus deux fois dans le village poussièreux de Wunchuei, à une heure de route d'Abyei --une région grande comme le Liban, située à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud indépendant depuis juillet dernier, et revendiquée par les deux pays--.
"La dernière fois cela a commencé tôt le matin, alors que les gens dormaient encore.La première fois, ils ne cherchaient pas les enfants, mais la dernière fois, ils ont pris tout le monde, enfants inclus", raconte Nyrop Nyol en jetant un regard inquiet sur son fils de 13 ans, qui a échappé à la capture en même temps que son père.
Mme Nyol espérait que Daper finisse ses études et devienne médecin ou enseignant, pour aider sa famille à sortir de la misère qui est la sienne depuis qu'elle a fui Abyei en 2008.
Elle n'a aucune idée de l'unité dans laquelle son fils a été envoyé, et souhaite simplement le voir revenir dans la hutte de paille, faite d'une seule pièce, qui abrite la famille.
Près du village d'Abothok, le responsable local, Kat Kuol, explique que les Dinka Ngok -- dont l'ethnie est alliée au Soudan du Sud -- contraints de se réfugier au Sud pour fuir Abyei sont maintenant appelés à aller se battre pour "l'indépendance" de ce territoire.
Un referendum prévu en janvier 2011 pour permettre à la population d'Abyei de décider de son sort ne s'est jamais tenu, et en mai dernier, l'armée soudanaise soutenue par les milices de la tribu arabe Misseriya ont occupé le territoire.
"Si tu résistes, ils te frappent"
Dans la localité d'Agok, le directeur de l'école, Simon Manyuol, raconte que les combattants sont venus sur le marché, ont tiré sur les boutiques délabrées afin d'intimider, et qu'ils ont poursuivi les hommes dans les rues boueuses et défoncées, frappant ceux qui refusaient de se laisser hisser dans les camions.
"Ils arrivent, poussent les gens en disant +lève-toi, lève-toi!+ et si tu résistes, ils te frappent et t'emmènent jusqu'aux camions", explique M. Manyuol, dont la cicatrice au-dessus d'un oeil atteste de sa tentative de résistance.
Certains recruteurs n'étaient pas en uniforme, d'autres portaient celui de l'Armée populaire de libération du Soudan, l'ancienne guérilla qui s'est battue pendant plusieurs décennies contre les forces du Nord, avant de devenir l'armée régulière du Soudan du Sud, précise-t-il.
"Ils disent qu'ils vont vous former, et que vous irez ensuite vous battre à la frontière d'Abyei", poursuit-il.
Philip Aguer, le porte-parole de l'armée du Soudan du Sud, assure pour sa part ne rien savoir d'une campagne de conscription dans la région, alors que les heurts à la frontière entre les deux Soudans fait craindre le déclenchement d'une nouvelle guerre.
Après huit mois de pourparlers, les négociations sont en effet dans l'impasse entre les deux pays, le Sud exigeant notamment que tout accord sur le partage des revenus du pétrole intègre la question d'Abyei.
M. Manyuol raconte avoir passé deux jours dans un champ, avec environ trois mille autres hommes, avant que des responsables du ministère de l'Education arrivent et libèrent quelques professeurs.Alors que lui-même rentrait chez lui, d'autres camions déchargaient de nouvelles recrues.
"C'était un mélange de personnes heureuses et tristes", selon qu'elles avaient ou non dû abandonner un emploi, ajoute-t-il.
"Ils ne font aucune différence entre les âges et ils prennent aussi bien des enfants de neuf ou dix ans", avant de relâcher ceux qui ont moins de 15 ans, dit-il.
"Les enfants vraiment jeunes" sont ramenés au village, confirme Mme Nyol.
Nyaluer Nyok, un ouvrier en bâtiment, souligne que le manque d'hommes à la suite de ces recrutements nuit au travail sur place, dans l'agriculture et la construction.
"Lorsque les combattants sont arrivés, je suis allé de village en village pour me cacher.J'ai peur que personne ne s'occupe de ma famille (si je suis enrôlé)", explique-t-il.
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