Bien après minuit, sous un ciel sans étoiles, Martial Kiki parcourt inlassablement les chemins tortueux du parc national de Yankari, dans le nord-est du Nigeria, à l'arrière d'un pick-up, à la recherche des derniers lions du pays.
Ce chercheur béninois de 31 ans émet le cri des bébés buffles en détresse à l'aide d'un magnétophone relié à un mégaphone.En théorie, le cri de ces proies faciles attire les lions alléchés, sur lesquels M. Kiki braque ensuite sa lampe torche pour les compter et les recenser.
Mais cela fait 29 heures, au total, que le mégaphone émet ce cri de désespoir.M. Kiki a parcouru 150 km à travers le parc.Et pas un lion à l'horizon, ni même une empreinte de lion au sol.
"J'espérais voir plus que cela", avoue-t-il en parcourant la savane, dans ce parc surnommé "le plus grand oasis de faune et de flore" du pays, qui fait la taille du Luxembourg.
"La situation a empiré" et "d'ici 10 ans, les lions pourraient avoir totalement disparu du Nigeria", s'inquiète ce jeune homme, casquette beige vissée sur la tête."Dorénavant, où qu'on aille, on trouve des traces de hyènes".
- 'Il y a urgence' -
Il n'y a que deux endroits où l'on peut espérer trouver des lions au Nigeria: le parc national du lac de Kainji, dans le nord-ouest du pays, où une trentaine de félins vivent encore, et le parc de Yankari, qui selon les spécialistes en compte moins de cinq.
Sur les quelque 20.000 lions vivant en liberté dans le monde, il n'en reste que 400 en Afrique de l'Ouest, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
"Quand nous avons commencé notre première grande étude sur les lions en Afrique de l'Ouest en 2009, les lions s'étaient déjà retirés de 99% du territoire dans lequel ils vivaient auparavant" dans cette région, explique Philipp Henschel, coordinateur d'études chez Pantera, une organisation chargée de la conservation des lions.
Les lions d'Afrique de l'Ouest, qui ont une plus petite crinière que ceux d'Afrique australe, sont en voie de disparition, selon l'organisme fédéral américain chargé de la préservation de la faune (FWS).Et pour l'instant, aucune solution à court terme n'a été proposée pour y remédier.
Le parc de Yankari, mal géré et sous-financé par le passé, a de plus en plus de mal à obtenir des moyens pour préserver ses derniers lions.
Le parc de Serengeti, en Tanzanie, et celui du Kruger, en Afrique du Sud, ont un budget d'environ 450 euros par an et par kilomètre carré.En comparaison, la plupart des parcs ouest-africains ont à peine 36 dollars (32 euros) par an et par kilomètre.
"Yankari est un des rares endroits qu'il faudrait vraiment fermer à l'aide de barrières", afin de protéger les animaux et de rendre les patrouilles de rangers plus efficaces, "parce qu'il y a urgence", estime M. Henschel, interrogé par téléphone depuis Libreville au Gabon.
"Nous savons comment préserver les félins (...), nous avons juste besoin d'argent pour le faire", ajoute-t-il.
- Affrontements sanglants -
Martial Kiki doit parcourir l'ensemble du parc pour réaliser son recensement, même s'il sait que dans la chaleur et la sécheresse du mois de mars, les lions ont de fortes chances de roder autour des points d'eau, où leurs proies se rassemblent pour boire.
A cause des routes mal entretenues, des pans entiers de la réserve ne sont plus accessibles en voiture et échappent à la surveillance des rangers, laissant la voie aux braconniers, qui agissent à pieds, armés de machettes et de mousquets.
Les affrontements sanglants sont assez fréquents et le chercheur ne se déplace plus sans une escorte de six rangers armés.
"On tire pour leur faire peur, mais au lieu de s'enfuir, ils ripostent", lance M. Kiki."Avant j'adorais camper dans la brousse, mais maintenant je trouve ça trop dangereux".
L'étude de M. Kiki servira sans doute de document d'information sur les derniers lions du Nigeria, à moins qu'une politique de conservation soit mise en place très rapidement.
"Quand on se trouve à côté d'un lion, on sent à quel point ils sont forts, on sent leur coeur battre.Ce sont vraiment les rois de la jungle", s'enthousiasme-t-il."Mais pas à Yankari.Ici on ne voit les lions qu'en photo".
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