Le soleil se couche sur Harare et Tinashe Magacha s'apprête à passer la nuit dans sa voiture avec des centaines d'autres automobilistes à la queue leu-leu devant la station-service.
Lui vient faire le plein de...son minibus. "Pendant que je patiente, mon minibus transporte des passagers", explique le jeune homme."Si j'arrive à acheter de l'essence, je la siphonnerai et je remplirai mon minibus avec un tuyau d'arrosage".
Beaucoup d'efforts pour une facture salée.Les prix des carburants ont plus que doublé en janvier, déclenchant des manifestations réprimées dans le sang par le régime du président Emmerson Mnangagwa.
Depuis des mois, les files de voitures qui s'étirent sur des kilomètres devant les pompes ont réapparu dans la capitale, dernière manifestation en date de la ruine économique laissée en héritage à sa population par feu Robert Mugabe.
Le Zimbabwe a été précipité dans la crise au début des années 2000 par la réforme agraire controversée ordonnée par l'ex-président, décédé le 6 septembre à 95 ans.
Le pays ne s'en est jamais remis et manque aujourd'hui de tout.Du carburant à la lessive, en passant par les plaques d'immatriculation et les passeports.
- "Acheter notre argent" -
Au casse-tête des pénuries s'ajoute celui du "cash".Ruiné par l'hyperinflation et la dégringolade de son dollar zimbabwéen, le pays et ses banques en manquent désespérément.
Contraint de payer ses tickets de bus en monnaie sonnante et trébuchante pour aller travailler, Crispen Mudzengerere doit passer des heures à sa banque pour pouvoir retirer, s'il a de la chance, au mieux 100 dollars zimbabwéens (8 euros) en liquide.
Il pourrait s'en procurer dans la rue, mais le service est "taxé" au moins 30%."Pour avoir 20 dollars, je dois dépenser 26 dollars", enrage le père de famille."On en arrive à acheter notre propre argent", explique-t-il résumant l'absurdité du système.
Pour limiter ses frais de transport, il a dû faire preuve d'inventivité.Il fait désormais des doubles vacations à son restaurant, ce qui lui permet d'avoir quatre jours de repos d'affilée.
Dans ce quotidien hostile, la débrouille et la patience sont devenues des armes indispensables.
Mais le système D ne peut pas tout.Et notamment empêcher la dévalorisation des salaires, victimes de la hausse vertigineuse des prix (+175% en juin) et de la dépréciation du dollar local.
En l'espace d'un an, leur valeur a été divisée par quinze.
Dans ces conditions, Wakanai Murambidzi, une agente d'entretien, n'a pas pu payer les frais de scolarité de ses enfants.Ils ont été renvoyés de leur école au début du mois."Je ne sais plus comment m'en sortir", se lamente la trentenaire.
"On regrette d'avoir viré Mugabe", ajoute-t-elle évoquant le coup de force de l'armée qui a mis fin, en 2017, au règne de l'ancien président."A l'époque le pain était à 1 dollar, maintenant il est à 10 dollars".
- Contrebande -
Dans ce champ de ruines économiques, un marché d'un type nouveau a vu le jour à Harare, dans le quartier pauvre de Mbare.
Ici, pas de légumes, ni fruits ou de viande, mais des denrées non périssables comme du riz, du sucre et des barres de savon importés illégalement de l'Afrique du Sud voisine.Les prix, non taxés et vendus sans intermédiaire, sont ici imbattables.
"On fait de la contrebande", reconnaît une vendeuse, Blessing Chiona, dont toute la marchandise tient sur une palette posée dans la boue.
A côté d'elle, des dizaines de vendeurs attendent les clients sous le soleil.Ce jour-là, deux litres d'huile s'écoulent pour 24 dollars en liquide, contre 34 dans les supermarchés.
Sous son parapluie, Blessing Chiona envoie par messagerie ses listes de courses à des chauffeurs-livreurs, les "malayitsha", qui font des allers-retours entre le Zimbabwe et l'Afrique du Sud avec des minibus remplis de voyageurs et de marchandises.
Comme si ces galères ne suffisaient pas, les Zimbabwéens doivent aussi composer avec de très longues coupures d'électricité, jusqu'à dix-huit heures par jour.
Lui aussi vendeur à Mbare, Misheck Masarirevhu a trouvé la parade.Avec un micro panneau solaire, il charge en journée une batterie de voiture sur laquelle il branche son téléphone chez lui le soir.
Jocelyn Chaibva, pharmacienne de 59 ans, se lève elle en pleine nuit, quand le courant est de retour, pour laver son linge.
"Pour s'en sortir ici, il faut un doctorat" de survie, résume un de ses collègues, Luckmore Bunu."Un étranger ici, il ne tient pas un mois.Mais nous, on est habitués."
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